Pr Ngouda Mboup : « En cas de cohabitation, le premier Ministre et le Président de la République qui ne seraient pas du même camp doivent… »

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L’idée d’une cohabitation est de plus en plus agitée par certains acteurs politiques notamment ceux du côté de l’opposition. Du fait de sa nouveauté, dans le landerneau politique sénégalais, le terme cohabitation reste encore flou pour les profanes. C’est pour cela que Seneweb est allé à la rencontre de l’enseignant-chercheur de droit public de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’UCAD, Mouhamadou Ngouda MBOUP qui a décortiqué ce concept. Au cours de cet entretien, il a levé le voile sur les scénarii en cas cohabitation.

Qu’est-ce qu’une cohabitation professeur ?

De façon simple, la cohabitation, c’est le partage du pouvoir entre le Président de la République et l’opposition si celle-ci obtient la majorité à l’Assemblée nationale à l’issue d’élections législatives, elle est différente de la concordance des majorités présidentielle et parlementaire. En période de cohabitation, l’action politique est contrôlée par l’opposition majoritaire à l’Assemblée nationale. Il suffit de partir du préambule de la Constitution pour mieux comprendre.

Le Préambule de la Constitution précise : »Le Peuple du Sénégal souverain proclame la séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques. La volonté du Sénégal d’être, un Etat moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un Etat qui reconnaît cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage fondamental indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique ».

On le voit, dès l’entame, c’est la majorité qui gouverne. Mais quelle majorité ? Présidentielle ou parlementaire ? Tout dépend ainsi de la concordance de majorités où lorsque le Président fait face à une majorité hostile à sa politique. En tout état de cause, la lettre de la Constitution attribue au Président de la République la prérogative de déterminer la politique de la Nation (article 42 de la Constitution).

Quel pouvoir est partagé, du moment où il s’agit de la séparation des pouvoirs ?

L’opposition va prendre le contrôle de l’Assemblée nationale et éventuellement du gouvernement (si le Président accepte de nommer un premier issu de ses rangs car l’article 49 de la Constitution n’oblige pas le Président de la République à nommer un membre de l’opposition comme premier Ministre ou un gouvernement composé par l’opposition. Donc, pour une cohabitation, c’est en réalité le pouvoir Exécutif qui est partagé, le Pouvoir législatif étant contrôlé par l’opposition. Le premier Ministre et le Gouvernement ou une partie du gouvernement sont issus de la coalition majoritaire à l’Assemblée nationale.

Toutefois, il faut signaler que la situation du Sénégal est un peu différente de celle de la France :

– En France, en cas de cohabitation, c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation (article 20 de la Constitution) et le Président de la République va gérer les affaires étrangères et les grandes options ;

– Au Sénégal, il revient au Président de la République de déterminer la politique de la Nation (article 42 de la Constitution);

– En France, le premier Ministre doit conduire la politique déterminée par le Gouvernement ;

– Au Sénégal, le Président détermine, le Gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du premier Ministre (article 53 de la Constitution). On le voit, les tâches sont bien réparties.

Les inquiétudes par rapport à un blocage sont donc fondées…

En cas de cohabitation, les acteurs politiques doivent trouver des compromis dynamiques. Le premier Ministre et le Président de la République qui ne seraient pas du même camp doivent forcément discuter et trouver des compromis sur les grandes orientations de la politique nationale. En l’absence de compromis, il existe des risques de blocage institutionnel ou de crise (institutionnelle ou de régime). Une telle situation pourrait affecter le bon fonctionnement régulier des institutions.

Le Président de la République a des pouvoirs propres qui sont au nombre de 14 (article 43 de la Constitution) qu’il ne partage avec personne.

A côté de ces pouvoirs propres du Président, il existe un domaine partagé avec le premier Ministre (les deux têtes de l’Exécutif). En l’espèce, les pouvoirs du Président appellent ceux du premier Ministre et vice-versa, notamment les nominations aux emplois civils, la présentation des projets de lois à l’Assemblée nationale, l’élaboration et le vote du budget, la composition du gouvernement (les ministres sont nommés sur proposition du premier Ministre), la promulgation des lois, la signature des décrets et leur application, etc.

Quelles seraient les conséquences en cas d’absence de compromis ?

En l’absence de compromis, le premier Ministre et sa majorité parlementaire pourraient empêcher au Président de la République de mettre en œuvre sa politique ou une partie de sa politique. L’Assemblée nationale pourrait retarder, bloquer ou rejeter certaines mesures ou actions du Président de la République. Par exemple, à l’occasion de la discussion et du vote budget de l’État, l’Assemblée nationale pourrait l’amender substantiellement, à changer ses grandes orientations voire le rejeter tout simplement (article 68 de la Constitution). En cas de vote de rejet de la loi de finances, la Constitution permet au Président de la République de reconduire, par décret, les services votés (article 68).

Le Président de la République qui va toujours gérer les affaires étrangères pourrait se retrouver en difficulté en l’absence de compromis dans la mesure où l’Assemblée Nationale est la seule institution habilitée à ratifier les traités négociés par le Président (article 98 de la Constitution).

En l’absence de compromis et en cas de refus du Président de la République de nommer un Premier Ministre issu des rangs de l’opposition, celle-ci pourrait renverser le Gouvernement par le biais de la motion de censure (article 86 de la Constitution).

Contrairement à la Constitution française qui n’encadre pas le pouvoir de dissolution du Président de la République (contrepartie de la motion de censure), au Sénégal, pour dissoudre l’Assemblée nationale, le Président de la République est tenu d’attendre au moins deux ans de législature (article 87 de la Constitution). Face au droit de dissolution que détient le Président de la République, l’Assemblée nationale sénégalaise est mieux protégée que celle française…

Il faut juste rappeler que la cohabitation a ses avantages comme elle a ses inconvénients. Elle a marché dans certains pays africains, dans d’autres elle a échoué. Toutefois, elle est signe de vitalité démocratique du moment que le suffrage universel est le critère convenu de la démocratie.

Le Sénégal doit être au-dessus de tout et les acteurs politiques doivent se parler pour tirer le pays vers le haut.

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