Maintenir Touba dans la République

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Un Baye Fall a été tué hier à Touba lors d’un affrontement avec un autre groupe dans le cadre du maintien de l’ordre confié à eux par le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké. Le drame intervient environ une semaine après que la dépouille d’un supposé homosexuel a été déterré et brûlé à Léona Niassène (Kaolack) par une foule hystérique.

La nouvelle de la mort du Baye Fall est terrible, mais pour ceux qui ont suivi ce qui se passe à Touba depuis quelques semaines, elle ne saurait surprendre. L’occasion m’a été donnée d’aller à Touba il y a moins d’un mois, j’ai pris un ‘’Allo Dakar’’ communément appelé ‘’War gaindé’’. Mais à l’aller, au retour, comme durant mon court séjour, il n’y avait qu’un seul sujet de discussion : l’attitude des Baye Fall.

J’ai entendu des mourides nés à Touba et résidant à Touba dénoncer fortement cette sécurité confiée aux Baye Fall. Des exactions, il y en a eu, puisqu’on parle de descentes jusque dans les maisons pour demander à des femmes de revoir leur habillement. Dans les discussions, il apparaît que des véhicules transportant de la marchandise ont fait l’objet d’interpellation sous prétexte que le produit est prohibé (cigarette), alors que la voiture en question traversait Touba à destination de Dahra et Linguère.

Des gens ont été rasés parce qu’ils présentent une coiffure où une partie des cheveux est plus élevée que l’autre. Le ministre Oumar Sarr, ancien de Rewmi, risquait donc de se faire raser si jamais il passait à Touba, lui qui est reconnaissable avec cette éternelle coiffure. Et il n’est pas le seul.

En voilà quelques exactions et méconnaissances qui indiquent clairement que les Baye Fall ne sont pas faits pour assurer le maintien de l’ordre ou même veiller à la sacralité de Touba, comme on dit.

La République de Macky Sall sait être ferme avec les opposants et la société civile (Aliou Sané en prison). Le moment est venu de faire preuve de rigueur, d’honnêteté et surtout de courage avec les religieux. Le maintien de l’ordre à Touba doit être assuré par les forces de défense et de sécurité. Voilà la vérité qu’il faut oser dire et rappeler. Des policiers qui croisent les doigts pendant que deux groupes s’affrontent, il faut être dans une non-république pour que ça soit possible.

Puisque ‘’force reste à la loi’’ (la chanson du régime), il faut qu’elle le reste pour tous, sans distinction de race, de couleur, de région, de religion (de confrérie), d’idéologie,…

Au-delà même de l’affaire des Baye Fall, c’est Touba qu’il faut ramener à la République. C’est curieux de constater comment il y a eu une sorte de fausse unanimité sur l’interdiction des activités politiques à Touba, mais aussi la délocalisation des bureaux de vote. Que ces activités soient interdites, on est tenté de le comprendre, mais refuser l’installation des centres de votes au sein de la ville ne se justifie point.

Les médias ont d’ailleurs fait preuve de complicité et de lâcheté manifeste sur cette question. Les intellectuels et la société civile aussi ! Personne n’a osé s’interroger sur la pertinence de cette mesure, encore moins la remettre en cause. En quoi organiser un vote peut remettre en cause la sacralité de la ville fondée par Cheikh Ahmadou Bamba ? Et les autorités se sont pliées sans broncher. Il a fallu une dérogation du khalife pour que le prochain scrutin présidentiel puisse se tenir. Après ça, oust, dégage ! Pendant ce temps, quand la ville est inondée, c’est l’Etat qui intervient.

A Touba, les écoles françaises sont officiellement interdites. Pourtant, il y en a dans le périmètre. Ensuite, à quoi bon d’interdire les écoles françaises dans la ville, si les fils et les filles de Touba vont ensuite quitter tous les jours la cité pour aller à Mbacké afin d’avoir accès à ces écoles ? C’est juste ajouter de la peine aux nombreuses difficultés des élèves et de leurs parents. Combien d’intellectuels mourides ont été alphabétisés en français ? Sont-ils moins mourides ou moins croyants que ceux qui ont été dans les écoles coraniques ?

Certes, on est d’accord que l’offre éducative de l’Etat ne satisfait pas une bonne partie de la population. Cette école française, telle qu’elle est aujourd’hui, ne répond pas à l’éducation que la majorité des parents veulent pour leurs enfants. Et c’est ce qui explique la faiblesse du taux brut de scolarisation, notamment dans des régions comme Diourbel et Kaffrine. Mais aussi la réussite des daaras modernes dans des villes comme Dakar.

Mais au lieu de tout rejeter, il aurait été beaucoup plus judicieux de collaborer avec l’Etat pour bâtir une école qui répond au besoin, une école qui n’ignore pas les aspirations religieuses d’une population constituée de 95% de musulmans. Ce serait le lieu d’allier l’enseignement religieux et celle de l’école actuelle. Touba aurait pu être le laboratoire, avant une mise à l’échelle en cas de réussite. Mais pour cela, il faut d’abord que Touba reste dans la République. Son statut particulier ne devrait pas en faire une cité entièrement à part.

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