Dérives de Macky Sall, la lourde responsabilité de la presse sénégaise

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Le président Macky Sall s’est permis de reporter la  présidentielle du 25 février 2024, à 24 heures du démarrage de la campagne électorale, sous le prétexte fallacieux d’une crise entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale. Depuis lors, c’est un concert d’indignations au-delà même des frontières du Sénégal. Pourtant, si le président Sall s’est permis cette décision inimaginable jusqu’à ce qu’elle soit prise, c’est bien parce qu’il est sûr de ses forces. Non pas les forces de l’ordre bien armées depuis les émeutes de mars 2021, mais plutôt les forces médiatiques.

 
Il y a lieu aujourd’hui de s’interroger sur la responsabilité de la presse sénégalaise sur ce qui est arrivé aujourd’hui à la démocratie sénégalaise, la vitrine de l’Afrique, paraît-il. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Macky Sall a bénéficié d’un soutien indéfectible des médias. Abdoulaye Wade a été régulièrement mitraillé pour bien moins que ça. Et malgré la gravité de la décision du samedi 3 février, on voit encore que la presse semble ne pas mesurer ce qui se passe. A l’annonce du report comme le jour du vote de la loi, l’essentiel des quotidiens dit sérieux se sont limités à des titres informatifs.
 
A titre comparatif, le 23 juin 2011, jour du vote de la loi sur le ticket, le journal EnQuête a mis à la Une un seul mot : NON !, avec un point d’exclamation sur fond noir. 
 
Un des manifestants n’a pas eu besoin d’une pancarte, il a juste brandi le journal, après s’être perché sur la statue en face de l’Assemblée. Le lundi 5 février 2024, jour du vote de la loi portant report de la présidentielle, le même journal a titré : Le Sénégal face à lui-même. Il est bien loin le temps de l’engagement des quotidiens. 
 
D’ailleurs, la Une de L’Obs du 5 février ( »Sall image », avec la photo de Macky sur fond de vitrine cassée) cette fois-ci assez critique semble surprendre un confrère qui s’exclame : même L’Obs s’est réveillé.
 
En réalité, le recrutement à ses côtés de certaines plumes comme Abdoulatif Coulibaly, El Hadji Kassé, Yaxam Mbaye et autres Cheikh Yérim Seck (oui, il en fait partie) n’est rien comparé à l’appui dont Macky Sall a bénéficié des médias.
 
Allié de Youssou Ndour, patron du plus grand et plus influent groupe médiatique, ayant nommé Babacar Touré, patron du groupe Sud, à la tête du Cnra et ‘’ami’’ de Madiambal Diagne, éditorialiste et ancien patron des patrons de presse (Cdeps), Macky Sall a vu les médias lui pardonner toutes ses dérives. A quelques exceptions près, la presse a fait du journalisme d’accompagnement comme des centrales syndicales ont eu à faire du ‘’syndicalisme responsable’’ du temps de Diouf.
 
Les Unes du 17 juin 2022
 
Les révélations sur sa gestion, si elles ne viennent pas des corps de contrôle (finalement neutralisés) sont alors de la société civile ou de l’ex-inspecteur des impôts, Ousmane Sonko qui en avait fait sa marque de fabrique. La presse, elle, a un triste bilan en matière de révélations et d’investigations sur la gouvernance de Macky Sall.
 
Mais même lorsque les manquements sont flagrants, la presse ferme souvent les yeux. A titre d’exemple, à la chute de Wade en 2012, l’arrestation et la traduction de son fils Karim était une demande populaire. Le peuple s’attendait à ce que l’ancien ‘’ministre du ciel et de la terre’’ rende compte et non que la justice soit utilisée contre lui pour des raisons politiques. Mais Macky Sall  a transformé une demande sociale en un instrument de chantage pour exiler Karim Wade. Et la presse s’est montrée particulièrement bienveillante à son égard.
 
Le chemin lui était dès lors ouvert. En manquant de dénoncer cette utilisation de la justice, la presse a permis à Macky Sall de faire une deuxième (Khalifa) puis troisième victime (Sonko). Et c’est l’une des raisons qui expliquent la violence avec laquelle Ousmane Sonko s’est opposé à Macky Sall. Face à des médias complices et une société civile amorphe, le leader du Pastef avait compris qu’il ne pouvait compter que sur ses forces pour ne pas se faire écraser comme Khalifa et Karim.
 
Certes beaucoup de ses méthodes sont contestables, mais si la presse avait joué son rôle de chien de garde, sûrement que les protagonistes n’en arriveraient pas à ces extrémismes de part et d’autre. Les titres des journaux du 17 juin 2022 donnent une idée assez nette du rôle joué par la presse durant le règne de Macky. La veille, vendredi 16 juin, la coalition d’opposition Yewwi Askan wi avait organisé une marche interdite par l’autorité à Dakar et Ziguinchor. Une répression sanglante a eu lieu avec 3 morts.
 
Le Synpics, un syndicat couché   
 
Le lendemain, tous les grands quotidiens ont loué la capacité de l’Etat à faire échouer la manifestation, reléguant ainsi en seconde position le bilan macabre. ‘’Yewwi confiné par la police’’ (Sud), Comment l’Etat a neutralisé la manif de Yewwi (Walf), ‘’L’Etat droit dans ses bottes’’ (EnQuête), ‘’Yaw Dégaz’’ (Le Quotidien), ‘’la face cassée de la manif de Yewwi-Wallu’’ (L’Obs), tous ces quotidiens ont presque les mêmes titres que le journal Le Soleil (Les forces de l’ordre, maîtres de la situation).
 
Et c’est justement parce que la presse a habitué le pouvoir à l’accompagner qu’il pense inadmissible toute attitude contraire. Les 12 ans de docilité des médias ont rendu les tenants du pouvoir allergiques à la critique. Et ce sont des médias comme Wal Fadjri qui, aujourd’hui, en paient le prix, mais aussi des journalistes comme Pape Alé Niang, Serigne Saliou Guèye ou Babacar Fall. Pour un oui ou pour un non, un signal d’une télévision (walf ou Sentv) est coupé ; et le patronat de la presse, allié de Macky Sall, reste aphone. Pour un rien, des journalistes sont emprisonnés ou menacés. Pendant ce temps, la mobilisation de la presse se limite à une ou deux marches, quelques communiqués et un édito commun.
 
Il faut dire aussi que le sommeil du Synpics y est pour beaucoup. Le syndicat semble renoncer à sa mission de défense des journalistes. Du temps de Diatou Cissé, les dérives du pouvoir sur les hommes de médias ont donné lieu à des réactions beaucoup plus énergiques. Bamba Kassé lui a endormi le syndicat. Et il se paie une prolongation illégale de son mandat…sans même passer par l’Assemblée nationale ; pardon…générale !
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