[Trois questions à] Stéphane Ndione : « Initier une pétition pour un mandat d’arrêt international contre Macky Sall est un combat perdu d’avance »

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Une pétition lancée par Boubacar Seye pour réclamer un mandat d’arrêt international contre l’ancien président Macky Sall a recueilli plus de 6000 signatures. L’objectif pour l’initiateur est de pousser l’État du Sénégal à entamer une procédure d’extradition. Dans cette rubrique, l’enseignant-chercheur en droit public, Stéphane Ndione, analyse la démarche de Boubacar Seye du point de vue juridique. Entretien.

Une pétition pour un mandat d’arrêt international contre l’ancien président sénégalais Macky Sall a été initiée et est à plus de 3500 signatures. Quelle peut être la valeur juridique d’une telle démarche ?

La pétition est un moyen de protestation face à la forfaiture et les actes arbitraires d’une autorité ou d’un régime. Elle est une démarche démocratique et pacifique de résistance.

Cette démarche n’a pas véritablement une valeur juridique. L’autorité ou l’organisation à qui elle est destinée, n’est pas obligée d’y apporter une réponse. Tout au plus, elle peut prendre acte de l’intérêt de cette démarche.

En plus de cela, la démarche peut susciter un débat public, une campagne de propagande, une mission d’information ou d’enquête pour davantage presser sur le destinataire.

En l’espèce, initier une pétition pour un mandat d’arrêt international contre l’ancien président Macky Sall est un combat perdu d’avance. Au-delà de son immunité présidentielle qui ne peut être levée que dans les conditions prévues par la Constitution du Sénégal et les textes internationaux, il n’y a pas de charges susceptibles à son encontre qui peut ouvrir une poursuite internationale

L’initiateur de cette pétition évoque des crimes économiques et politiques qu’aurait commis l’ancien régime. Est-ce suffisant pour déclencher une procédure judiciaire contre un ancien président ?

Il urge de définir d’abord les crimes économiques et politiques pour cerner les contours de cette volonté de poser la responsabilité pénale de l’ancien président et son champ d’application sur sa personne. Il est important de rappeler qu’au Sénégal, le Président de la République n’est pas responsable devant le Parlement comme dans certains pays dont peut être l’initiateur fait référence.

Et pour asseoir une poursuite judiciaire tant nationale qu’internationale, il faut d’abord fouiller l’article 101 de la Constitution de 2001 sur la haute trahison et les articles 5, 6 et 7 du statut de Rome de 1998 Instituant la CPI sur les crimes internationaux.

En effet, l’initiateur a confondu les réalités politiques entre certains pays où un chef d’État peut être poursuivi et destitué pour crimes économiques par exemple au Brésil avec Dilma Rousseff en 2016, en Afrique du Sud avec Jacob Zuma en 2018.

Pour les crimes politiques, s’il fait allusion aux pertes en vie humaine lors des événements politiques de Mars 2021 et de Juin 2023, elles n’entrent pas dans la catégorie de ces crimes. En réalité, un essai de définition d’un crime politique renvoie plutôt aux tripatouillages constitutionnels, à la fraude électorale, aux changements anticonstitutionnels…

Dans quel cas est-il possible de lancer un mandat d’arrêt international contre un ancien président ?

Le mandat d’arrêt international contre un ancien président est conditionné par l’existence de fait compromettant relatifs à un des crimes internationaux dont il est l’auteur, le commanditaire ou un complice… Et la clarté de la définition du crime de guerre, crime de génocide ou du crime contre l’humanité par exemple ne laisse pas entrevoir une possible poursuite pénale de l’ancien président Macky Sall. Le décompte des victimes des événements politiques n’a pas atteint une proportion pouvant déclencher un mandat d’arrêt international. L’avocat Juan Branco et des partisans du Parti Pastef l’ont tenté mais cela n’a pas abouti aux résultats escomptés à part le partage d’information sur la situation chaotique du pays à l’époque.

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