« Hey », « psst », « Boy dangua mool » – Harcèlement de rue : Quand la drague vire au cauchemar

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« Hey », « psst », « Boy dangua mool » – Harcèlement de rue : Quand la drague vire au cauchemar
Par: Moustapha TOUMBOU – Seneweb.com | 17 avril, 2022 à 10:04:29 | Lu 703 Fois | 12 Commentaires
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Harcèlement, la drague vire au cauchemar
Partie intégrante du comportement de l’homme, le jeu de séduction peut s’effectuer en tout lieu et à tout moment. Cependant, cette pratique connaît des limites très souvent méconnues ou ignorées, par des Don Juan amateurs de drague de rue, et conduit au harcèlement. Un phénomène négligé qui laisse, le plus souvent, de graves séquelles à la gent féminine.

« Hey », « psst », « Boy dangua mool » (tu as des formes généreuses), « arrête-toi ! », -tape sur l’épaule-, voici autant d’interjections, de gestes et de techniques usées par certains hommes pour tenter d’attirer l’attention des femmes qu’ils courtisent dans la rue. Des stratagèmes aux allures anodines fonctionnant par moment mais pas tout le temps. Dans le cas échéant, la femme sollicitée exprime, d’une manière ou d’une autre, son refus, sa gêne face à cette situation à son courtisan qui, s’il se montre insistant peut très vite se transformer en bourreau. En effet, ice qui à la base devait être de la drague se transforme en harcèlement de rue qui se caractérise entre autres par : des regards insistants, des sifflements, des commentaires sur le physique ou la tenue vestimentaire, des avances sexuelles, des frottements, des attouchements et des poursuites.

Béatrice, étudiante sénégalaise à l’université Cheikh Anta Diop, a déjà été confrontée à l’une de ces situations. Elle se remémore : « Un jour, je marchais à Liberté 6, il y a avait un homme qui m’appelait et auquel je ne répondais pas. Il a décidé de marcher avec moi malgré le fait que je ne lui répondais pas. Cet inconnu m’a suivi jusqu’à chez moi et a failli y entrer mais je l’ai repoussé». La scène se déroulant en public, Béatrice confie que les personnes autour se sont contentées d’observer sa détresse sans broncher.

Même cas de figure pour Priscilla, étudiante gabonaise qui, lors d’une sortie, s’est fait aborder par un inconnu qui a très vite dépassé la ligne rouge. « On parlait puis il a passé sa main sur mon épaule et aussitôt j’ai commencé à lui crier dessus. Après ça, il a appelé ses amis qui se sont regroupés autour de moi pour me traiter de « Niak » », raconte-t-elle.

Comme dit plus haut, le harcèlement de rue se manifeste aussi par des « frottements ». Et l’un des lieux où ces actes sont très souvent enregistrés sont les transports en commun où des hommes profitent parfois de la promiscuité pour s’adonner à de basses besognes.

L’exposition « Territoires »

Sur la problématique du harcèlement de rue, une exposition portant le nom de « Territoires » se tient actuellement au musée de la femme Henriette Bathily jusqu’au 15 mai. Initié par l’artiste Sophie Le Hire, le projet est une collaboration avec un laboratoire de 8 femmes expertes (psychologue, sociologue, juriste, danseuse, journaliste, urbaniste, activiste culturelle, productrice de films) et des activistes qui luttent pour les droits des femmes au Sénégal. Plusieurs œuvres de l’artiste française y sont exposées dont des tableaux et des photographies.

Sur l’ensemble des clichés exposés, une femme enveloppée d’une couverture isothermique revient très souvent. « L’objectif, ça a été vraiment de déjà mettre en lumière ce problème, le fait que quand on est une femme et qu’on sort dans la rue, on ne se sent pas en sécurité. Donc, il fallait essayer de comprendre pourquoi, ce qui se joue. Moi, mon élan est d’abord artistique, ça a été d’imaginer la ville comme un être vivant. C’est une métaphore de l’agresseur », explique Sophie Le Hire à Rfi.

Le harcèlement de rue vu par des hommes

A quelques pas du lieu de l’exposition, nous retrouvons Cheikh Fall. L’homme a parfaitement connaissance de la problématique du harcèlement de rue. Pour lui, l’intention de l’homme qui aborde une femme en pleine rue et l’approche sont déterminantes pour ne pas que la confusion s’installe. « Vous pouvez agresser une personne de différentes manières encore plus quand vous essayez d’approcher une femme qui ne vous connait pas dans la rue. Et la moindre des choses dans ce genre d’entreprise est de demander la permission avant de poursuivre. Si elle s’y oppose, mieux vaut lâcher l’affaire », pense-t-il.

Poursuivant, Cheikh Fall estime que l’accoutrement « léger » porté par certaines femmes pourrait, en partie, justifier la récurrence de ce phénomène dans la société : « il faut comprendre aussi que ce ne sont pas toutes les femmes qui n’aiment pas qu’on les approche de cette manière. Il y a en a qui sont de nature dragueuse rien que par leur façon de se vêtir ça donne une permission inavouée à la personne d’avoir accès à vous. »

Un avis partagé par plusieurs conservateurs à l’exemple de Fred, étudiant camerounais. « Dans le passé, la majeure partie des femmes s’habillaient décemment et adoptaient un comportement réservé qui faisait en sorte que ce genre de dérive ne pouvait pas être enregistré. Et je pense que l’une des causes de ce phénomène est la vulgarisation vestimentaire croissante constatée de nos jours », dit-il en précisant que le contrôle de soi de l’individu de sexe masculin doit primer malgré tout.

« Un autisme collectif s’est installé dans la société sénégalaise »

Autre point, et pas des moindres, à mettre en lumière face aux cas de harcèlement de rue, c’est celui de la passivité des populations face à ces scènes. Selon la sociologue Raby Kane Diallo, cette indifférence est la résultante de la mutation que connaît la société sénégalaise de nos jours. « Ce n’est pas parce que les gens sont devenus méchants ou moins solidaires mais il y a une sorte d’ autisme collectif qui s’est installé depuis qu’on a transité vers la modernité. Chacun préfère détourner son regard face à ces scènes en se disant que « ce n’est pas mon problème », observe la sociologue.

Autre caractère passif, celui des victimes. Nombreuses sont les femmes qui ne donnent pas suite à leur mésaventure. Là encore, l’influence de la société y est pour beaucoup dans ces décisions. « Le harcèlement de rue est déjà difficile à prouver. Puis nous sommes dans une société où nous sommes dans des sphères de socialisation. La jeune fille aura peur d’en parler à sa maman qui rejettera la faute sur elle en lui disant qu’elle est mal habillée. Quand elle en parlera à ses amies, ils lui répondront « de quoi tu te plains, tu es une fille, c’est normal que tu attires la convoitise ». C’est un peu difficile à évoquer pour la victime », ajoute Raby Kane Diallo.

Que prévoit la loi contre le harcèlement de rue ?

Le sentiment qui prédomine chez la personne agressée lors de ces scénarios est la peur accompagnée d’autres maux. « Ce n’est pas quelque chose à négliger. Ça peut traumatiser la jeune fille et la pousser à ne plus sortir seule dans des espaces publics. Elle peut, par ailleurs, devenir paranoïaque au moindre regard un peu appuyé qui pourrait lui rappeler ce souvenir », révèle la sociologue. Au vu de tous ces dommages que peut causer le harcèlement de rue, il est légitime de se demander si des voies et moyens sont prévus par les textes pour y faire face.

Les dispositions prises par le code pénal sénégalais sur la question ne concernent que le harcèlement. L’article 319 bis déclare : « Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de gestes, de menaces, de paroles, d’écrits ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 50.000 à 500.000 francs. »

Ainsi, le harcèlement de rue dans son essence ne pourrait être clairement puni par la loi. Cependant, les différentes manifestations de ces phénomènes peuvent être sanctionnées. Dans le cas d’un frottement dans un transport en commun, la victime peut porter plainte pour attentat à la pudeur. De même que pour une poursuite où elle peut déposer une plainte pour agression. Vu l’absence de textes clairs face à cette problématique, l’appréciation du juge pourrait être la seule alternative, renseigne Me Thiam : « C’est le juge qui apprécie les comportements et les qualifie. Une personne peut viser une infraction mais le juge peut décider d’en retenir une autre. Compte tenu des éléments de faits que vous avez décrits, il décidera de quelle infraction qui sied par rapport à ce comportement. »

Quelle attitude adopter face au harcèlement de rue ?

Devant une législation ne sanctionnant pas clairement cette forme d’agression, des comportements peuvent être adoptés. Premièrement, vous pouvez ignorer la personne qui vous harcèle tout en vous éloignant d’elle et en vous réfugiant dans un endroit sûr (magasin, restaurant, …).

Même si le mutisme de la société est un facteur bloquant, lorsque vous vous faites harceler dans les transports publics ou tout lieu de passage, essayez de mobiliser les passagers ou les passants.

Il est recommandé de ne pas insulter la personne qui vous harcèle, cela peut générer un comportement encore plus violent de sa part.

Dernier conseil et cette fois-ci à l’endroit des hommes: lorsqu’elle dit non, c’est non !

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