[Focus] Greffe du rein au Sénégal : les détails et les surprises d’une performance

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Le Sénégal a connu sa première transplantation rénale. Lors d’une conférence de presse, vendredi, à la Fac médecine, les spécialistes sont revenus sur les péripéties et les conditions d’éligibilité.
 
Après l’exploit, les explications ! Le Sénégal a réussi entre dimanche 26 et lundi 27 novembre, la prouesse de réaliser la première opération du rein. La différence avec d’autres pays est que Dakar s’est appuyé essentiellement sur ses propres ressources humaines, hormis un accompagnement des Turcs. C’est ce qui explique d’ailleurs la satisfaction du Pr Bara Ndiaye, Doyen de la faculté de médecine, puisque l’ensemble des spécialistes sénégalais ont été formés à l’Université Cheikh Anta Diop. Ce qui prouve, aux yeux du Doyen, la qualité de la formation à la Fmpo.

Lors d’une conférence de presse hier à la faculté, les personnes physiques et morales intervenant directement dans cette opération sont revenues sur le chemin parcouru et ce qui reste à faire. A l’heure actuelle, explique Pr Maria Faye, néphrologue à l’hôpital Le Dantec, trois patients ont bénéficié d’une greffe, ce qui fait un total de six patients à suivre, à savoir les donneurs et les receveurs. « Pour les donneurs, la situation n’est pas compliquée, c’est un suivi modéré. Nous avions évalué les risques. Des radios, des scanners et des analyses ont été faits. Nous nous sommes assuré d’abord qu’ils ne risquent pas de contracter une maladie suite à ce don. Pour les receveurs par contre, le suivi est plus rapproché, puisqu’ils ont  reçu un organe qui ne fait pas partie de leur corps. La réaction naturelle est de rejeter, il faut donc surveiller », explique-t-elle.
 
Sur la liste d’attente, il y a une quinzaine de personnes déjà examinées, révèle Pr Alain Ndoye, chef du service urologie de l’hôpital Le Dantec. Il faut préciser que les transplantations devaient avoir lieu à l’hôpital Le Dantec, mais c’est parce que cette structure est fermée provisoirement pour construction que le transfert a été fait à l’hôpital militaire de Ouakam. D’où le consortium Dantec-Hmo.

“Le processus d’évaluation du consortium Hmo-Dantec a duré environ un an”
 
Pour arriver à cette première opération, le processus a été long. Si l’on en croit Pr Fary Ka, président du conseil national du don et de la transplantation, toutes les dispositions ont été prises en termes d’encadrement et de surveillance sur cette question. Pour qu’un hôpital, même public, puisse procéder à une transplantation, il lui faut un agrément qui est tout sauf une formalité.  « L’obtention d’un agrément est assujettie à une évaluation. Nous avons un référentiel qui comprend plusieurs niveaux : les ressources, surtout qualifiées en matière de transplantation rénale. Il faut qu’ils prouvent qu’ils l’ont déjà fait. Il faut avoir les infrastructures, des blocs opératoires fonctionnels, des laboratoires. Et même si vous déclarez avoir ça, ce n’est pas suffisant ; nous avons des experts qui vont aller sur place vérifier toutes les installations ».
 
A titre d’exemple, indique-t-il, le processus d’évaluation du consortium Hmo-Dantec a duré environ un an, voire plus, parce qu’il y avait toujours des compléments et ajustements à faire. Ce n’est qu’en avril 2023 que l’agrément a été octroyé. Et même après ce quitus, l’évaluation est continue et sera beaucoup plus corsée, promet Pr Fary Ka. Après Hmo-Dantec, la voie est libre pour tout autre hôpital, mais il faut passer par le chemin tracé par le Cndt.

« Pour prélever et greffer, il nous fallu 3 heures à 3 heures 30 mn »
 
Entre avril et fin novembre, il s’est écoulé 7 mois avant la première opération, pourquoi cette attente ? La réponse est à chercher dans la préparation de l’intervention. Si l’on en croit Pr Alain Ndoye, la transplantation n’est pas difficile à réaliser sur le plan technique. « Pour prélever et greffer, il nous a fallu 3 heures à 3 heures 30 mn », révèle-t-il. Ce qui est compliqué par contre, dit-il, c’est la mise en place d’une organisation qui permet à plusieurs équipes de travailler en synergie pour éviter des défaillances.
 
Après le moment euphorique, vient le temps de la réalité du terrain. Avec la réussite de cette opération, nombreux sont les patients souffrants d’insuffisance rénale qui espèrent pouvoir bénéficier de rein pour se soulager. La mauvaise nouvelle est que ce n’est pas aussi simple que ça. « Tous les dialysés ne seront pas greffés », indique d’emblée, Pr Babacar Diao, chef du département chirurgie et spécialités chirurgicales de la Fac médecine, mais aussi chef du service neurologie de l’Hôpital militaire de Ouakam.

D’après ce spécialiste, les néphrologues vont d’abord évaluer pour voir qui est éligible à la greffe. Mais être éligible ne suffit pas. « Vous devez avoir des donneurs qui vont être évalués pour voir s’il peut vous donner un organe. Même si vous êtes compatible, on va voir s’il n’y a pas de pression psychologique ou familiale derrière. Au Sénégal, on sait bien que si celui qui travaille et qui supporte la famille est malade, on est capable de mettre la pression sur le chômeur pour lui demander de donner son rein au malade ».
 
Les psychologues vont donc évaluer la motivation pour savoir si elle est issue d’une pression familiale, financière, ou autre.  C’est pour toutes ces raisons d’ailleurs que le consentement à la greffe relève du tribunal. Le donneur est reçu par un juge entouré d’experts. Et son quitus est indispensable pour la réalisation de l’opération.
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