Comment le Nicaragua est devenu le raccourci des migrants africains et asiatiques vers les Etats-Unis

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Un réseau de passeurs vers les États-Unis empruntant une nouvelle route via l’Amérique centrale a été mis en évidence par l’avion retenu en France avant Noël, qui se dirigeait vers le Nicaragua avec à son bord 303 passagers soupçonnés d’immigration clandestine. 

L’Airbus A340 de la compagnie roumaine Legend Airlines, qui se rendait à Managua depuis Dubaï, a été immobilisé le 21 décembre lors d’une escale à l’est de Paris, en raison de soupçons «de traite d’êtres humains».

Lundi 276 passagers indiens ont été renvoyés vers Bombay, 27 personnes sont restées en France, dont deux soupçonnées d’être des passeurs et présentées devant un juge d’instruction parisien.

La police indienne a également ouvert une enquête. Les passagers auraient payé des dizaines de milliers de dollars à des passeurs pour atteindre les États-Unis, a affirmé à l’AFP un commissaire de police indien.

Manuel Orozco, expert en migration au sein du groupe de réflexion Inter-American Dialogue, a expliqué à l’AFP que le gouvernement du président nicaraguayen Daniel Ortega, qui considère les États-Unis comme un «ennemi», avait facilité «un réseau de services aériens internationaux» afin que les migrants «puissent atteindre plus rapidement la frontière entre Mexique et États-Unis», utilisant le Nicaragua comme «un raccourci».

Une action «préméditée» selon lui, «pour augmenter le poids de la crise migratoire vers les États-Unis et capter des revenus» en visas et taxes aéroportuaires.

«Nous avons recueilli des données sur plus de 500 vols charters» et «même l’autorité aéroportuaire» a passé un contrat «avec des entreprises privées situées à Dubaï pour former des fonctionnaires à la gestion de la paperasserie internationale», a ajouté l’expert.

L’avocate de Legend Airlines, Liliana Bakayoko, a confirmé à l’AFP que les ressortissants indiens «devaient obtenir leur visa à l’aéroport» de Managua et que le Nicaragua avait approuvé la liste des passagers avant qu’ils n’embarquent, comme le prévoit la procédure migratoire.

Sans cette approbation «l’avion ne pouvait pas obtenir l’autorisation d’atterrir au Nicaragua et donc de décoller» de Dubaï, a-t-elle expliqué.

Esquiver «l’enfer» 

Le flux de migrants asiatiques et africains entrant au Honduras par sa frontière terrestre avec le Nicaragua – où ils arrivent directement en taxi ou en bus depuis l’aéroport – a quintuplé, passant de 14 569 en 2022 à 76 178 en 2023 (+522 %).

Les migrants traversent ensuite le Guatemala pour entrer au Mexique jusqu’à la frontière Sud des États-Unis, au prix de milliers de dollars pour de nouveaux passeurs.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) souligne une «tendance significative» des migrants africains et cubains souhaitant se rendre aux États-Unis à choisir «les routes aériennes vers l’Amérique centrale en évitant le Darién», la jungle entre Colombie et Panama.

Cubains, Haïtiens, Chinois, Vietnamiens et Africains avaient rejoint ces dernières années la vague de Vénézuéliens qui traversent cette dangereuse frontière naturelle où ils sont livrés aux trafiquants ainsi qu’à la rudesse de l’épaisse jungle, considérée comme «l’enfer» des migrants. Plus d’un demi-million ont emprunté cette année cette route longue de 266 km, plus du double qu’en 2022.

Le Nicaragua, selon Manuel Orozco, est depuis 2021 un «tremplin» vers les États-Unis pour les Cubains et les Haïtiens pour lesquels aucun visa n’est requis.

Une moyenne de 50 vols charters par mois ont transité entre La Havane et Managua de janvier à octobre 2023. Depuis Port-au-Prince, les vols sont passés de 30 en août, à 100 en septembre et 130 en octobre, selon Inter-American Dialogue.

Comme le Panama, hub international, San Salvador est également une plaque tournante d’Amérique centrale pour migrants à bord de vols commerciaux à destination du Nicaragua, a expliqué à l’AFP un porte-parole de la Direction générale des migrations du Salvador.

À l’instar du Costa Rica et du Panama, le Salvador a imposé en octobre une taxe aéroportuaire de 1 130 dollars (1 498 $ canadiens) aux ressortissants africains et indiens en transit.

Ces derniers mois, les autorités colombiennes ont, elles, remarqué qu’une majorité des passagers de vols en provenance de Turquie étaient des Africains en transit vers San Salvador, via un vol depuis Bogota, pour se rendre au Nicaragua.

«Des personnes qui […] veulent migrer et paient des billets et d’autres choses pour éviter de passer par le Darién», a expliqué cette semaine le vice-ministre colombien des Affaires étrangères, Francisco Coy.

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