La photo qui nous inspire ces lignes est venue hier mardi de la présidence de la République. Au milieu, un jeune président de 44 ans avec son premier ministre âgé de 49 ans. Ces deux nouvelles têtes de l’exécutif sénégalais sont entourées de vieux dinosaures du monde syndical : Mody Guiro, Mademba Sock, Cheikh Diop. Des vieux qui ont chacun bouclé plus de 70 ans. Tous ont connu les régimes de Diouf, Wade, Sall et maintenant celui de Faye. Le Sénégal a vécu trois alternances politiques, mais les vieux demeurent à leur poste, in-dé-bou-lon-na-bles !
La nouvelle génération ne s’en souvient certainement pas, mais c’est en 1999 que Youssou Ndour, dans une de ses chansons, demandait à Mademba Sock, alors puissant leader syndical du secteur de l’électricité, d’arrêter les coupures de courant. Le Sutelec était à l’époque dans un combat sans merci avec le régime d’Abdou Diouf contre la privatisation de la Senelec. Mademba Sock a même fait la prison pour cela.
En 2013, lorsque Mademba Sock et Aliou Ba se battaient pour le contrôle de la tête du Sutelec, l’argument des partisans de Ba était que Mademba Sock était à la retraite, il ne pouvait donc plus diriger les travailleurs actifs, disaient-ils. Celui qui a été élu SG depuis le deuxième congrès de 1987 voulait encore rempiler au Sutelec, un syndicat qu’il n’a quitté qu’en 2018 après 31 ans. Aujourd’hui encore, il reste à la tête de l’Unsas dont il est le seul et unique secrétaire général depuis sa création en 1993, soit 31 ans de magistère.
Le plus curieux dans cette affaire est que des syndicats aussi exemplaires en termes d’alternance comme le Saes sont membres de cette centrale sans piper mot à ce sujet. C’est à se demander comment le Saes qui ne permet pas à son secrétaire général de faire plus de deux mandats peut se ranger derrière Mademba Sock depuis les années 90 sans évoquer en public la question de l’alternance au sommet de la centrale syndicale. Il est de même du Saemss dirigé en l’espace de 20 ans par Mbaye Fall Lèye, Mamadou Lamine Dianté, Saourou Sène et maintenant El Hadji Malick Youm, pendant que Mademba Sock reste immuable.
Le constat est le même à la Cnts et à la Cnts/Fc. Mody Guiro a succédé à Madia Diop à la tête de la Cnts depuis 2001. Il avait fait face à l’époque à Cheikh Diop qui animait un courant réformateur au sein de la Cnts. Guiro dirige la centrale depuis maintenant 23 ans. Cheikh Diop son rival de 2001 qui avait échoué à se faire élire a lui aussi créé sa propre centrale, la Cnts/Fc, à la suite des incidents à la bourse du travail. Depuis 2002, soit 22 ans, il est le seul SG de la centrale. Sans compter le fait qu’il a dirigé le syndicat national des travailleurs du pétrole de 1994 à 2011, avant de passer la main pour devenir président d’honneur.
Dans ce monde de dinosaures, la Csa est l’une des rares centrales à connaître une alternance régulière depuis sa création en 1997 : (Iba Ndiaye Diadji (décédé en 2001), Mamadou Diouf (2002-2016), Elimane Diouf depuis 2016.
Voilà donc les vieux routiers qui étaient au palais en compagnie du président et de son PM. Certes, ils ont eu le mérite d’avoir porté le combat à un moment où ce n’était pas évident. Certains acquis sont manifestes. Le combat de Mademba Sock contre la privatisation de la Senelec est un fait indéniable. Mais dans la vie, il faut comprendre que nul n’est indispensable. Ces anciens ont fait leur temps, le moment est venu pour eux de partir. Vaux mieux prendre la décision sur soi de quitter que de se faire débarquer après 20 à 30 ans de magistère.
Aujourd’hui, on espère que les nouveaux dirigeants auront l’intelligence de comprendre que ce n’est pas avec ces caciques qu’il faut traiter. De nouvelles têtes doivent émerger. Le monde syndical ne manque pas de cadres et d’expertises jeunes pour prendre le flambeau. Ce qui est arrivé sur le champ politique doit se répliquer sur le terrain syndical. Le nouveau régime ne gagnera rien avec ces vieux. D’ailleurs durant plus d’une décennie, les principaux combats ont été menés par les syndicats de branche, pendant que les vieux des centrales étaient dans un soi-disant pacte social.
Le Pastef qui incarne la rupture n’a pas le droit d’allouer 600 millions de subvention annuelle à une caste qui ne représente plus les travailleurs. Pendant les voyages du président, le Sénégal gagnerait à déplacer de jeunes entrepreneurs dynamiques pour qu’ils découvrent ce qui se passe ailleurs et nouent des contacts pour faire grandir leur entreprise. Le chef de l’Etat fera perdre le Sénégal en embarquant dans l’avion de vieux touristes qui n’apporteront rien au pays. Ils ont fait leur temps, ils doivent libérer le siège au profil des jeunes.
Ce besoin de nettoyage ne se limite pas uniquement au monde syndical. Les organisations patronales ont aussi besoin d’un coup de balai qui emportera les Baidy Agne et autres Mbagnick Diop. Il faut oser entreprendre des réformes courageuses pour que le secteur privé national puisse enfin décoller.