« Nous constatons que chez les Talibans, on légifère sur la barbe, comme nous pouvons légiférer sur le moment auquel il faut allumer sa cigarette ». Jean Carbonnier
Le Sénégal traverse un tournant critique. Le député Guy Marius Sagna, au nom d’une croisade prétendument morale, a saisi le Président de l’Assemblée nationale d’une demande de mise en accusation de l’ancien Président Macky Sall pour « haute trahison ». Une manœuvre spectaculaire, mais juridiquement fragile, politiquement douteuse, et historiquement périlleuse. Car, derrière l’effet d’annonce, c’est bien une logique de vengeance qui s’installe, une rupture d’avec la tradition démocratique sénégalaise, et un symptôme alarmant d’un populisme judiciaire qui se déguise en vertu républicaine.
L’article 101 de la Constitution, invoqué à l’appui de cette procédure, mentionne effectivement la possibilité de poursuivre un Président de la République pour haute trahison. Mais il omet, sciemment, de définir cette notion. En l’absence de qualification claire, il est impossible d’en faire une base juridique solide. Mieux, notre Code pénal prévoit uniquement des crimes de trahison et d’espionnage seulement contre la sûreté de l’Etat. (Titre Premier, Chapitre I : «Crimes et délits contre la sûreté de l’Etat).
Une sociologie du droit nous fait dire que le droit pénal ne fonctionne pas sur les sentiments, encore moins sur les frustrations post-électorales. Il repose sur la légalité. Au nom de la rupture tant psalmodiée, il serait regrettable que le flou du droit ne produise l’arbitraire.
Quels sont donc les faits ?
On agite le rapport provisoire de la Cour des comptes, déjà contesté, et pas encore validé par le FMI et certains experts. Et voilà qu’on veut faire croire à une nation que cela suffit pour juger d’une trahison. Que vaut une démocratie qui se transforme en tribunal politique ? Qui fait feu de tout grief pour salir un homme, une trajectoire, un legs ?
Depuis son départ volontaire du pouvoir, par respect de la parole donnée, Macky Sall n’a jamais cessé d’incarner, aux yeux du monde, une certaine idée du leadership africain. Il est invité sur les grandes scènes où se retrouvent les grands esprits. Il vient d’être nommé au conseil d’administration de la Fondation Mo Ibrahim, institution qui ne tolère en son sein que les anciens dirigeants considérés comme exemplaires en matière de gouvernance. Faut-il le rappeler ?
Mais cette reconnaissance dérange. Ceux qui promettaient une rupture radicale, semblent incapables d’innover. Alors, ils s’en prennent à leur prédécesseur. Par défaut de résultats, ils cherchent des boucs émissaires. L’actuel Président, lui-même, dans son face-à-face avec la presse, le 4 avril 2025, a accusé Macky Sall « d’agir en cachette contre le Sénégal ». Accusation grave. Surtout lorsqu’elle vient du Chef de l’État. Aucune preuve. Aucun dossier. Rien que des insinuations.
Il est temps de replacer ce débat dans son contexte historique et comparatif. Les grandes démocraties honorent leurs anciens Présidents. Aux États-Unis, même Richard Nixon, en dépit du scandale du Watergate, a bénéficié d’un traitement institutionnel digne. Barack Obama est aujourd’hui une figure morale. En France, Nicolas Sarkozy, bien que poursuivi et condamné pour des affaires précises, n’a jamais été traîné symboliquement dans la boue par ses successeurs. En Afrique du Sud, Frederik De Klerk a été maintenu dans les honneurs pour avoir accompagné la transition post-apartheid malgré les sévices et humiliations vécus par Nelson Mandela, son successeur.
Pourquoi ? Parce que ces nations comprennent une chose fondamentale : l’image d’un ancien chef d’État rejaillit toujours sur la nation elle-même. Elles comprennent qu’une République sans mémoire est une République en guerre contre elle-même.
Le Sénégal n’est pas né avec les autorités actuelles. Et l’histoire ne se réécrit pas à coups de calomnies. Macky Sall a incontestablement ses critiques, ses erreurs, ses silences. Mais il a aussi son œuvre. Et dans une République digne de ce nom, on ne détruit pas ce qui a été construit ; on débat, on avance, on dépasse.
Il n’est pas trop tard. Il est encore possible d’éviter la descente aux enfers. De revenir à l’éthique de la responsabilité. À la maturité politique. Mais si le régime persiste dans sa logique de dénigrement et d’amnésie, il prendra le risque de devenir ce qu’il dénonçait et deplonger le pays dans l’incertitude.
Quand ceux qui promettaient l’honnêteté utilisent la mémoire comme une arme, ils deviennent les fossoyeurs de l’avenir.
Il serait vraiment dommage pour notre démocratie, notre grande nation, de faire comme ce que dénonçait Victor Hugo, dans les Misérables : « La guillotine est l’expression suprême de la Loi, et son nom est vengeance ; elle n’est pas neutre, et ne nous permet pas de rester neutres ».
Bassirou KEBE
Président de LIGGEY SUNU REEW