Présidentielle 2024: Grosses interrogations sur la faisabilité de la campagne de Bassirou Diomaye Faye
La situation du candidat Bassirou Diomaye Faye, détenu depuis près de 10 mois, suscite moult interrogations, notamment sur les conditions de faisabilité de sa campagne électorale. Est-il possible qu’il sorte de prison ? Peut-il battre campagne depuis sa cellule ?
Sur les 20 candidats retenus par le Conseil constitutionnel, Bassirou Diomaye Faye est le seul à croupir en prison. Une première au Sénégal pour ce qui est de l’élection présidentielle. Beaucoup se demandent aujourd’hui : comment va-t-il se comporter lors de la campagne électorale qui va débuter le 3 février prochain ?
Vide juridique
A cette question, le secrétaire général du Groupe de recherche et d’appui conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), une organisation non partisane de promotion de la démocratie participative, du développement territorial et des droits humains, semble perplexe. Ababacar Fall admet que « le Code électoral ne prévoit pas une disposition particulière pour régler ce cas ». C’est en quelque sorte un vide juridique.
Il relève, toutefois, qu’il y a un principe d’équité qu’il faut respecter pour tous les candidats : « L’article 32 de la Constitution a prévu que les cours et tribunaux veillent à la régularité de la campagne électorale et à l’égalité des candidats pour l’autorisation des moyens de propagande dans des conditions déterminées par une loi organique. Si on empêche Bassirou Diomaye Faye de battre campagne en le gardant en prison, cela voudra dire qu’il n’y a pas d’égalité entre les candidats ».
Du côté de ses partisans, l’on se fonde sur le principe de l’égalité des candidats pour exiger la libération de Bassirou Diomaye Faye. Me Ngagne Demba Touré est par exemple convaincu que l’inspecteur des Impôts doit sortir de sa cellule en cette période de pré-campagne en invoquant l’article L.130 prévu par le code électoral sénégalais. « En vertu du principe de l’égalité entre les candidats posé par le Code électoral, le candidat Bassirou Diomaye Faye doit être libéré avant le début de la campagne électorale. Cette exigence légale trouve son siège dans l’article LO.130 qui désigne la Cour d’Appel de Dakar comme juridiction chargée de veiller au respect du principe de l’égalité entre les candidats. Selon la même disposition, elle intervient auprès des autorités compétentes pour que soient prises toutes les mesures susceptibles d’assurer sans délai cette égalité », a-t-il écrit.
Le jeune greffier, toujours en exil au Mali, pense que deux points essentiels dans cet article méritent d’être soulevés. Le premier point, argue-t-il, concerne l’expression «toutes les mesures » qui, d’après lui, indique « qu’il n’y a aucune délimitation relative au champ d’action des mesures. Or, dans le cas d’espèce, la mesure appropriée est la mise en liberté provisoire du candidat Bassirou Diomaye Faye ».
Il ajoute que le deuxième point, parlant « des autorités compétentes « , s’intéresse à la loi qui ne fait aucune distinction entre les autorités que la Cour d’Appel peut saisir.
« Dès lors, elle peut saisir des autorités administratives et des autorités judiciaires. Ainsi, elle peut intervenir auprès du Procureur de la République et du Doyen des juges du Tribunal de Grande instance hors classe de Dakar pour assurer la mise en liberté provisoire d’office de Bassirou Diomaye Faye », a fait croire Me Touré.
S’agissant, par ailleurs, des requérants, il rappelle que « la juridiction d’appel peut être saisie par la Cena ou le candidat. Nous invitons les autorités sénégalaises à prendre toutes les dispositions pour le respect du principe de l’égalité entre les candidats. C’est à la fois une exigence légale et un principe démocratique ».
Et c’est dans ce sens que ses avocats ont saisi la justice. Selon Bès Bi, Me Ciré Clédor Ly et ses collègues ont fait une nouvelle demande de liberté provisoire pour le candidat. Une nouvelle requête cette fois-ci basée sur «une rupture d’égalité entre candidats» visant à permettre à Bassirou Diomaye Faye de pouvoir bénéficier de son droit de solliciter le suffrage de ses concitoyens.
Le juge d’instruction chargé de son dossier va lui accorder cette liberté provisoire ou le candidat du Pastef va connaître le même sort que Khalifa Sall en 2017, lors des Législatives ?
Mais au-delà de l’ancien maire de Dakar, le fondateur de l’École d’Art Oratoire et de Leadership (EAO-Afrique), Dr Cheikh Omar Diallo, a évoqué d’autres exemples de certains candidats qui, confrontés à des obstacles juridiques majeurs, ont bravé les limites de la politique en menant des campagnes électorales depuis leur lieu de détention.
Campagne à distance ou délégation des porte-paroles
« Rappelez-vous, Luiz Inacio Lula da Silva, le président brésilien condamné pour corruption en 2018, a tenté de se présenter depuis sa cellule, mais sa candidature a été abruptement invalidée en raison de sa condamnation définitive. Quant à Evo Morales, leader bolivien, il a remporté un siège de député en 2002 alors qu’il était en détention préventive, mais a été libéré avant d’assumer ses fonctions. À l’inverse, le célèbre opposant Hama Amadou, candidat à la présidentielle nigérienne en 2016, a été confronté à des défis majeurs. Inculpé et détenu dans une affaire complexe, il devait obtenir l’autorisation du juge d’instruction pour chaque initiative politique, une permission qui lui fut refusée », a commenté l’expert en Communication et chercheur en Science politique dans un récent entretien avec Seneplus.
Allant plus loin, le Dr Diallo soutient « qu’en tant que détenu de droit commun, l’homme de confiance et second d’Ousmane Sonko est assujetti aux dispositions restrictives du Code pénal sénégalais. Ainsi, toute activité politique liée à la campagne électorale nécessitera une autorisation préalable du juge d’instruction chargé du dossier. En l’absence de liberté provisoire, le détenu ne pourrait pas participer aux meetings, ni faire des déclarations publiques, voire bénéficier de temps d’antenne sans l’aval du tribunal ».
A ce titre, il indique que M. Faye a deux options : « des actions médiatiques à distance ou en ligne – à condition que les autorités judiciaires l’acceptent – ensuite la délégation d’un porte-parole ».