Depuis leur arrivée au pouvoir, perçue comme une révolution, les figures du parti Pastef, forts de leur écrasante majorité (130 sièges sur 165 à l’Assemblée nationale), ne cessent de réclamer une justice rapide et implacable. Le vote, le 2 avril 2025, de la loi interprétative de l’amnistie de 2024, a cristallisé cette exigence. Lors de cette séance plénière, un député a interpellé le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, avec une injonction sans détour : « Ceci est une exigence du peuple : dès demain, après le vote, les arrestations doivent commencer », visant les responsables des exactions sous l’ancien régime de Macky Sall. Bacary Diédhiou, dans une tirade tout aussi tranchante, a déploré la lenteur judiciaire, pointant des dossiers comme Force Covid-19 ou le Prodac : « À part Mamina Daffé qui croupit en prison, les cerveaux se pavanent encore dans les salons de la condescendance. Les Sénégalais pensent que vous avez peur d’affronter les véritables questions pour lesquelles ils ont sanctionné le régime de Macky Sall. » À cette ferveur s’ajoute la voix d’Aminata Touré, Haut représentant du président Diomaye Faye, qui, dans l’émission Objection de Sud FM le 1er avril 2025, a déclaré : « Il faudrait peut-être accélérer la cadence. Renforcer en personnel le Pool judiciaire financier. Je considère que c’est un peu lent. » Pour ces figures, la loi votée doit donner au ministre « tous les leviers » pour agir, balayant les « agitations » de l’opposition, notamment de Takku-Walu.
Mais cette pression croissante sur la justice traduit-elle un réel désir d’équité ou une soif de vengeance, un règlement de comptes pour les répressions subies dans l’opposition ? La députée Amy Dia, ancienne détenue politique, a donné le ton lors de la séance du 2 avril. S’adressant à Aïssata Tall Sall, ex-garde des Sceaux et figure de Takku Wallu, elle a lancé : « Allez voir les jeunes anciens détenus de votre régime. Demandez-leur de devenir vos consultants pour vous apprendre à survivre en prison, car vous paierez pour tous vos actes. » Pour elle, l’adoption de la loi, portée par la majorité de Pastef et la clameur populaire, répond à une urgence : « Dehors, le peuple réclame la justice, les familles des victimes ont besoin de faire leur deuil, et tant d’injustices doivent être réparées. » Émue, elle a ajouté : « J’ai le cœur gros, mais j’ai tenu bon jusqu’à ce jour. Nous voterons cette loi, et tous les députés qui portent le Sénégal dans leur cœur la voteront aussi. »
La justice pour les morts de 2021-2024 est légitime, mais elle ne doit pas basculer dans une chasse aveugle aux sorcières, comme sous l’Inquisition ou le tribunal révolutionnaire français. Dans Les dieux ont soif, Anatole France dépeint une justice dévoyée par la ferveur révolutionnaire. Évariste Gamelin, juré idéaliste devenu fanatique, incarne cette dérive où la balance cède à l’épée. France écrit : « La justice, au temps de la Terreur, n’était pas une balance, mais une épée », soulignant l’abandon de toute mesure. Plus loin, il avertit : « Les dieux ont soif, et leur soif ne s’éteint qu’avec le sang », une image qui résonne face à ces appels à des arrestations immédiates. Ces excès historiques rappellent qu’une justice sous pression peut sacrifier l’équité à la vindicte.
Pour conjurer ce risque, le ministre Ousmane Diagne pourrait être un rempart. Lors des débats du 2 avril, il a répondu aux critiques sur la lenteur judiciaire : « Le temps de la justice n’est pas le temps des hommes », plaidant pour la rigueur face à la précipitation. Refusant toute ingérence, il a martelé : « Je ne suis pas là pour que l’on me dicte la conduite à tenir ! » Promettant une justice intègre et indépendante, il a cherché à rassurer sur son refus de la manipuler à des fins politiques. Si ces mots se traduisent en actes, ils pourraient préserver le Sénégal d’une justice expéditive, loin des dérives d’un tribunal révolutionnaire, et ancrer la quête de vérité dans une équité véritable. Car les dieux, assoiffés ou non, ne doivent pas dicter le cours de la justice humaine.