Pour les dignitaires de l’ancien régime déchu de Macky Sall le 24 mars 2024, le Sénégal est devenu une vaste prison à ciel ouvert. Ils se voient interdire la sortie du territoire national dès qu’ils se présentent à l’aéroport : Lat Diop (ancien DG et ministre), Abdoulaye Saydou Sow (ancien DG et ministre), Mamadou Gueye (ancien DG) et Manar Sall (ancien DG) en ont fait l’amère expérience.
Cette punition collective est une« mesure conservatoire », justifie le tout-puissant nouveau Premier ministre car ils doivent tous faire face à la « reddition des comptes » annoncée. Leurs gestions sont fouillées et ils doivent répondre devant la Justice.
Or, jusqu’à présent, ces citoyens ne font face à aucune poursuite devant aucune juridiction ni ne sont l’objet d’aucun avis de recherche; il ne leur a jamais été notifié une quelconque faute par une quelconque autorité. L’Habeas Corpus est sacré depuis la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, adoptée par le Sénégal.
Ces privations de liberté sont, ainsi, illégales du point de vue du Droit sénégalais comme du Droit international. C’est l’exact contraire de l’Etat de droit qui stipule que l’Etat est le premier à respecter ses propres lois, à ne jamais les violer contre ses propres citoyens, quels soient les faits qui leur sont reprochés. Même les plus atroces : viol, assassinat, terrorisme.
La Constitution du Sénégal consacre la liberté de déplacement dès son préambule et le martèle encore en son article 8 relatif aux droits politiques et civils; la présomption d’innocence y figure en bonne place, de même que dans notre Code de procédures pénales. Selon nos lois et règlements, seul un individu fuyard recherché par une autorité ou notifié par une ordonnance judiciaire peut se voir restreindre la liberté de déplacement. Et il est remis à l’autorité dès qu’il tente de franchir nos frontières.
Tous les instruments du Droit international ratifiés par notre pays vont dans ce sens. Aucun ne permet la punition collective, les procédures administratives ou judiciaires secrètes, la restriction de liberté sans motif notifié à l’intéressé.
Le nouveau régime a décidé de se passer du Droit pour régler les comptes des dignitaires vaincus. Ses tenants et souteneurs réclament vengeance, sang et déshonneurs à la mesure de leurs dix années de plomb dans l’opposition.
Cela se fera au détriment de leurs promesses d’un Sénégal meilleur car cette démarche contraire à l’Etat de droit est un cycle infernal qui nous poussera plusieurs bonds en arrière. C’est le lit idéal pour la haine mutuelle, le désinvestissement économique, le manque de confiance et la régression généralisée.
Mamadou Sy Tounkara