En politique, il ne faut jamais dire jamais, a-t-on coutume de dire. Avec la Rts non plus, il ne faut jamais dire jamais. Il y a juste deux mois, le Pastef et tout ce qui se rattachait à lui étaient bannis de la télévision publique. Aujourd’hui, ils sont les bénis du triangle sud. Dès le lendemain de la présidentielle du 24 mars 2024, la Rts a commencé à changer de couleur. Exit le marron et le beige de l’Apr, place au vert et blanc du Pastef.
Disons le tout net, la Rts est l’une des premiers transhumants, si elle n’est pas tout simplement la première. Depuis une semaine, la chaîne publique n’a d’yeux que pour Pastef. Les nouveaux maîtres sont devenus omniprésents à l’écran.
Il y a d’abord l’invitation de Birame Souley Diop pour la première fois à l’émission dominicale Point de vue, une semaine après l’élection de Bassirou Diomaye Faye. Mais il y a surtout ce portrait dithyrambique sur Ousmane Sonko dans le 20h du dimanche 31 mars. Les mots ont été particulièrement laudateurs et la journaliste a cru bon de remonter la généalogie de Sonko pour justifier son courage. « Il semble hériter le patriotisme et le nationalisme de son aïeul », dit le reporter qui présente la radiation de Sonko comme étant la conséquence de sa quête de justice.
Tout cela sans compter le défilé à l’écran des membres de l’ex-Pastef. Mardi, la Rts n’a pas dérogé à la règle. A la fin de l’investiture au Centre international de conférence Abdou Diouf, les vainqueurs ont été presque les seuls à se succéder au micro de la Rts. Me Abdoulaye Tine, Toussaint Manga, Pierre Goudiaby Atépa, Maodo Malick Mbaye, Ameth Diallo (Pastef), Serigne Guèye Diop… et même Queen Biz qui a chanté Diomaye président. Pendant ce temps, pas l’ombre d’un responsable de l’Apr devant le micro. Ils sont déjà aux archives de la Rts.
Les choses semblent donc mal parties en ce qui concerne la gestion de la Rts. Certes, il est trop tôt pour incriminer Pastef et les hommes de l’anti-système. Jusqu’à ce jour, le Directeur général de la Rts s’appelle Racine Tall, responsable politique de l’Apr. Peut-être qu’il est en train d’envoyer un message aux nouveaux maîtres pour leur montrer qu’il est prêt à servir, comme Babacar Diagne avait servi Abdou Diouf, puis Abdoulaye Wade et enfin Macky Sall avant de prolonger le service au Cnra.
Rendre la Rts au Sénégalais
Il apparaît donc clair qu’il n’y a rien à attendre du côté de la Rts. Pourtant, la chaîne publique devrait faire son introspection. Pendant des années, la télévision a boycotté les opposants. Lorsqu’ils sont devenus les tenants du pouvoir, la Rts cherche partout des images pour illustrer ses reportages. Dans les portraits de Sonko et Diomaye, on voit des images d’AfricaNews, celles d’Africa24 ou de Tv5, toutes des télévisions étrangères. En principe, c’est la Rts qui devait fournir ces télévisions en images et non le contraire.
Pour en revenir à Pastef, même si le président Faye vient juste d’entrer en fonction, ce mardi 2 avril, il n’en demeure pas moins que ses hommes ont déjà envoyé des signes qui ne rassurent pas à propos de la Rts. Une semaine après la victoire, Birame Souley Diop ou un autre de Pastef pouvait décliner cette invitation à l’émission Point de vue pour marquer le coup. Ça aurait pu être une manière d’indiquer que les nouveaux vainqueurs n’entendent pas faire de la Rts cet instrument de propagande qu’il a toujours été pour le parti au pouvoir. C’était là un premier signe de rupture.
Aujourd’hui encore, après l’investiture, les responsables de Pastef pouvaient conditionner leur présence à l’antenne à celle des autres composantes de la société. Mais ce qu’on a constaté, c’est qu’il n’y a eu ni opposant, ni même société civile, patronat ou travailleur, mais uniquement les membres de la coalition Diomaye président.
Pastef a longtemps décrié le traitement réservé par la Rts à l’opposition et une partie de la société. Son leader Ousmane Sonko s’est même permis d’écarter le micro de la télévision publique dans un de ses discours. Le moment est donc venu de marquer la vraie rupture, celle qui consiste à rendre la Rts au peuple, à l’ouvrir à tous les segments de la société, peu importe l’appartenance politique, sociale et religieuse. Ce serait aussi un énorme service rendu à cette chaîne qui dispose de moyens et d’expertise, mais à qui une bonne partie du public a déjà tourné le dos.