Le jeudi 23 novembre, le Conseil national de régulation audiovisuel a sorti un communiqué pour sommer le groupe Dmédia d’arrêter sa propagande au bénéfice de Bougane Guèye Dany, homme politique et patron du groupe. Encore un communiqué contre Dmédia ! Mais le problème n’est pas dans la multitude de sorties contre ce groupe. En effet, dire que Bougane Guèye utilise ses supports médiatiques pour son action politique est une lapalissade.
Il suffit juste de prendre la Une de son journal La Tribune sur une semaine pour se faire une opinion. A titre d’exemple, Sen Tv a diffusé en direct une émission de 7tv dans laquelle Bougane était l’invité de Maïmouna Ndour. C’est tout dire ! Le Cnra a raison de dire que, sur ce point, l’argument de la publicité ou du publireportage ne saurait prospérer.
Là où se situe le problème par contre, c’est le traitement déséquilibré des acteurs. Lorsqu’on s’arrête uniquement aux communiqués du Cnra de Babacar Diagne, on a l’impression que Dmédia est le seul groupe ou média à transgresser les lois, à faire preuve d’un manque d’équilibre dans l’accès des citoyens aux supports médiatiques.
Ancien DG de la Rts, Babacar Diagne oublie toujours d’épingler son ancienne maison qui ignore, 12 mois sur 12, le principe de l’accès équitable des citoyens aux médias. Une partie de l’opposition et de la société civile sont presque bannies de la Rts, et le régulateur reste silencieux.
Quand le Cnra de Babacar Touré épinglait Tfm et Rts
Contrairement au Cnra de Babacar Diagne, celui de Babacar Touré avait certes condamné les manquements de Dmédia, mais aussi ceux de la presse publique et de la presse privée au profit de Macky Sall, candidat sortant en 2019.
Dans un communiqué du 5 septembre 2018, Babacar Touré et Cie disent avoir noté, après monitoring, que la Tfm avait largement relayé un appel de Youssou Ndour au public pour parrainer le candidat Macky Sall. « Auparavant, la chaîne, dans les éditions de 19h et 20h du 29 août 2018, avait diffusé de larges extraits de la cérémonie de lancement de la campagne de parrainage du candidat Macky Sall, à laquelle la chaîne a également consacré une édition spéciale, avant de proposer, plus tard dans la nuit, l’intégralité de la manifestation, sous forme de publireportage », note le Cnra.
A propos de la Rts, le régulateur constate qu’une bonne partie des journaux télévisés du soir (19h, 20h et 23h) du mercredi 29 août 2018 a été consacré au lancement de la campagne de collecte des signatures pour le parrainage du Président/candidat, « à l’exclusion de tout autre postulant ».
Des pratiques que le Cnra assimile, dans les deux cas, « à un exercice de propagande plutôt qu’à un traitement de l’information ».
Et c’est cet équilibre là qui manque au Cnra de Diagne. Aujourd’hui, la Rts fait pour Macky et Amadou Ba, ce que Dmédia fait pour Bougane. Sous prétexte de tournées économiques, le président Macky Sall fait le tour du pays. Durant ces déplacements, la RTS diffuse de longues séquences dans lesquelles Macky Sall prend un bain de foule. Il en est de même du PM, avec ses lancements de travaux ou inauguration.
L’argument selon lequel Macky Sall n’est pas candidat ne passe pas dans la mesure où non-seulement il a bénéficié de ce traitement dans les mêmes circonstances quand il était candidat en 2019, mais il a choisi un candidat pour 2024 et a promis de l’accompagner à la victoire.
A côté de la presse publique, il y a la presse privée. Surtout ces 15 derniers titres nés durant les 12 derniers mois. Ces journaux mettent régulièrement à la Une des responsables politiques de la majorité présidentielle. Certains parmi eux affirment avoir déposé un nombre important de parrains en faveur du candidat de Benno, Amadou Ba, alors qu’ils ont été incapables de collecter 1000 voix dans les urnes lors des dernières élections locales.
Le Cored montre la voie au Cnra
Et c’est justement pour inviter les médias à ne pas tomber dans la propagande que le Cored a sorti un communiqué le 28 novembre 2023 pour rappeler aux professionnels la nécessité d’utiliser « avec plus de précaution de tels chiffres et l’interprétation que les différents acteurs en compétition en font ».
Du côté du Cnra, on est resté silencieux sur ce point. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que le Cored montre la voie au régulateur.
En 2022, après avoir approuvé une sortie du Cnra contre Dmédia au sujet de la revue de presse d’Ahmed Aïdara, élu maire de la ville de Guédiawaye, l’instance d’autorégulation dirigée par Mamadou Thior avait de manière diplomatique rappelé au régulateur qu’il manquait d’équilibre dans ses jugements.
En effet, le Cored n’avait pas manqué de souligner l’urgence d’engager une réflexion avec tous les acteurs pour « aboutir à un cahier de charges de nomination transparente des dirigeants des médias du service public, RTS, Soleil et APS », afin de garantir l’égalité et l’accès équitable aux médias publics. « Actuellement, les trois directeurs de ces organes sont politiquement engagés dans la coalition au pouvoir, avec l’un d’entre eux élu comme maire », ajoutait le Cored.
Le secteur des médias qui ressemble aujourd’hui à une armée mexicaine a plus que jamais besoin d’instances de régulation et d’autorégulation. Mais il faudrait que ces entités affichent un tant soit peu une indépendance et un équilibre dans le traitement des acteurs.
Ce qui, hélas, n’est pas le cas du Cnra de Babacar Diagne qui coupe le signal de Walf tv et Sen tv tout en détournant le regard sur la Rts. Et on se demande d’ailleurs pourquoi l’Etat traîne les pieds dans la mise en place de la Haute autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Harca) prévue par le nouveau code de la presse voté depuis 2017.