Football sénégalais : trois vies fauchées sur le terrain en un mois, les défaillances d’un système

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Trois décès en un mois, des joueurs livrés à eux-mêmes, des examens médicaux superficiels : face à une série de drames, le football sénégalais doit revoir d’urgence son approche de la santé des athlètes.

En l’espace d’un mois, trois jeunes joueurs ont perdu la vie en pleine activité, révélant de graves manquements dans la prise en charge médicale.

Le 10 avril, Papi Goudiaby, étoile de l’Académie Avenir Foot, s’écroule lors d’un match amical au CFPT à Dakar. Malgré une intervention rapide, il ne survivra pas.

Le 17 mai, Fadiour Ndiaye, capitaine de l’US Ouakam, succombe à un malaise après un match contre Oslo FC aux Parcelles Assainies.

Le 18 mai, à Ziguinchor, un joueur décède des suites d’un choc brutal lors d’un tournoi communautaire au lycée Djignabo.

Trois morts. Trois familles brisées. Une question : aurait-on pu les sauver ?

« Il y a toujours des signes, mais on ne les écoute pas »

Le Dr Abdoulaye Diagne, spécialiste en médecine du sport et membre du comité médical de la Fédération Sénégalaise de Football (FSF), affirme que ces décès ne sont pas des fatalités. « Il n’y a jamais eu d’arrêt cardiaque sans signes précurseurs. Douleurs thoraciques, fatigue anormale, fièvre… Les joueurs les taisent par peur de perdre leur place. » Il dénonce une culture du silence où les alertes sont ignorées. « Si un joueur a la grippe ou le paludisme, le faire jouer est irresponsable. Un effort peut déclencher un drame. »

Des visites médicales fictives

Les visites médicales, obligatoires en théorie, sont souvent superficielles. « C’est juste un médecin qui pose deux questions et remplit une fiche. Pas d’électrocardiogramme ni d’analyse de sang », témoigne un joueur de Ligue 1. « On prend la tension et la température. Rien de plus », ajoute un joueur de Ligue 2. Ces pratiques, loin des standards internationaux, exposent les athlètes à des risques constants.

Sans ambulance, sans matériel : des matchs à haut risque

À l’US Ouakam, la colère accompagne la douleur après la perte de Fadiour Ndiaye. « On joue parfois sans ambulance. Contre l’AJEL, un blessé a été évacué dans une voiture de police », dénonce un coéquipier. De nombreux clubs organisent des matchs sans matériel de secours ni protocole d’urgence.

Le défibrillateur, cet outil qui sauve des vies

Le Dr Diagne insiste sur l’importance des défibrillateurs semi-automatiques. « Cet appareil peut sauver trois vies sur cinq s’il est utilisé dans les premières minutes. » Coûtant 3 à 5 millions FCFA, il reste abordable. « Ce n’est pas un luxe, c’est une obligation. Chaque terrain doit en être équipé.
»

Le Sénégal est pionnier en médecine du sport en Afrique, avec un module de spécialisation reconnu. « De nombreux médecins d’Afrique francophone viennent se former chez nous », note le Dr Diagne. Mais ce savoir reste absent des terrains, faute de moyens ou de coordination.

L’Association Sénégalaise de Médecine du Sport propose des formations aux premiers secours, ouvertes aux non-médecins. Les mesures urgentes incluent :

– Visite médicale annuelle complète (ECG, bilan sanguin, interrogatoire détaillé)

– Présence d’un personnel médical formé lors des matchs

– Équipement des stades en défibrillateurs

– Mise à disposition d’une ambulance pour chaque rencontre officielle

Un électrochoc nécessaire

Ces drames exigent un sursaut. La santé des joueurs ne peut plus être négligée. Les familles, coéquipiers et supporters attendent des actes. Le sport, c’est la vie, mais aujourd’hui, c’est la vie qu’on sacrifie.

L’Association Sénégalaise de Médecine du Sport forme des agents de santé aux interventions d’urgence. « Ils savent stabiliser un joueur en détresse en attendant une prise en charge », explique le Dr Diagne. Cette initiative, sous-exploitée faute de moyens, pourrait être une première ligne vitale sur les terrains.

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