Dialogue national et chef de l’Opposition au Sénégal : Disons les choses telles qu’elles sont,(Par Mamadou Diop Decroix)
La question du chef de l’opposition a été soulevée dans le dialogue mais elle vient d’où exactement ? Il s’agit d’une création exogène. Dans les pays francophones d’Afrique, la notion de « Chef de l’opposition » est une idée de la Françafrique concoctée au sortir du sommet de La Baule en juin 1990. Pour mémoire, lors de la 16ᵉ Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, François Mitterrand, alors Président de la République française, avait indiqué ceci : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ». Il appelait ainsi les chefs d’états africains à pratiquer « la démocratie » dans leur espace politique. Un des chefs d’états de l’époque s’en était moqué et lui arriva ce qui devait lui arriver en françafrique. Il perdit le pouvoir chassé par une opposition armée à la fin de cette année 90.
En vérité, la France avait décidé de s’ajuster après l’implosion du bloc soviétique qui faisait face au bloc occidental mené par les États-Unis d’Amérique. Le monde étant devenu provisoirement unipolaire, des réaménagements s’avéraient désormais nécessaires en Afrique pour alléger quelque peu le poids des autocraties sur les peuples et espérer ainsi stimuler une économie qui, de toute manière, tournait pour les intérêts de la métropole. Du temps de l’existence des 2 blocs antagoniques, l’essentiel était de s’aligner pour être protégé quelles que soient les atteintes à la démocratie et aux droits humains. Ce fut le cas pour Mobutu Sésé Séko et d’autres. La disparition du bloc de l’Est offrait donc cette opportunité d’une certaine respiration « démocratique ». Les conférences nationales souveraines devinrent la panacée pour transformer, croyait-on, les autocraties en « démocraties ». C’est dans ce contexte que surgit la notion de Chef de l’opposition. En réalité, il s’agissait dans l’esprit de ses concepteurs, de trouver une formule et un mécanisme pour que partout, les principaux protagonistes de la scène politique puissent participer au partage du gâteau plutôt que de passer leur temps à s’entretuer par partisans interposés. Il ne s’agit donc nullement d’un quelconque besoin interne. Le concept est d’inspiration externe. On sait que le système parlementaire britannique est ainsi conçu mais que les pays anglophones d’Afrique hormis deux ou trois ne l’ont pas adopté. En Afrique francophone, ce sont plutôt les conditionnalités imposées par certains bailleurs de fonds (en complicité avec Paris ?) qui sont à la base des efforts de son acclimatation. L’objectif est la cooptation politique. Le statut permet de canaliser les principales forces politiques dans des cadres dépolitisés, avec avantages matériels (budgets, sécurité, reconnaissance). On est ainsi dans les stratégies de conservation de la stabilité politique par des acteurs étrangers, notamment français, soucieux de maintenir un ordre néocolonial favorable aux intérêts économiques (ressources, entreprises, influence géopolitique). En termes plus prosaïques, le leader ou le parti qui arrive second aux élections n’est plus exclu et persécuté mais associé aux prébendes et autres avantages du système.
Il se trouve que le Sénégal n’a jamais été de ce jeu-là. Que s’est-il donc passé pour qu’il soit brusquement plongé dans ce débat ? L’idée, qui fut introduite par le Président Wade après les élections législatives de l’An 2000, ne fut pas appliquée. La raison invoquée fut que la question de qui détient la majorité parlementaire devrait d’abord être réglée. Les deux principaux partis de l’opposition de l’époque avaient obtenu aux législatives de 2001, l’un plus de voix au suffrage universel et l’autre avait gagné plus de députés. Le choix n’a jamais été fait et les choses en restèrent là. Plus tard, sous le Président Sall, la question fut de nouveau agitée sans être tranchée. Le PDS était majoritaire à l’Assemblée et son candidat était arrivé second au scrutin de 2012 mais un tel schéma ne convenait pas à ce moment là aux nouvelles autorités. Il a fallu donc attendre bien plus tard pour que le sujet soit de nouveau sur la table de discussion. Mais, comme sous Wade, on introduira de nouveau la question du critère pour désigner le chef de l’opposition. Est-ce le parti d’opposition majoritaire au parlement ou le candidat arrivé second à la présidentielle ? D’aucuns ont fini par considérer qu’au fond, il ne s’agissait que d’attiser d’éventuelles rivalités au sein de l’opposition mais pas de désigner véritablement un chef de l’opposition. Toujours est-il qu’au Sénégal l’opposition n’a jamais été demanderesse d’un chef en son sein. C’est le pouvoir en place qui a toujours soulevé la question mais pas pour une mise en œuvre concrète. On peut donc légitimement se poser la question de sa pertinence et de son utilité aujourd’hui.
En ce qui le concerne, notre parti n’a jamais été en faveur de cette disposition au motif que le leader d’un parti ne peut avoir comme chef que les instances de décision de son propre parti : bureau politique, congrès etc. Le Président de Pastef et actuel Premier ministre, interpellé sur la question il y a quelques années, indiquait qu’en ce qui le concerne, il n’était le chef de personne dans l’opposition mais qu’en retour personne n’était son chef non plus. La formule usitée dans l’opposition était : « les partis sont d’égale dignité mais de poids électoral différent ».
Il me semble que nous devrions plutôt orienter le débat sur les véritables rôle et mission du parti politique dans un pays comme le Sénégal. C’est là tout l’intérêt de la thématique du statut de l’Opposition et de la rationalisation des partis politiques. Si réduire les partis est un objectif, on devrait, au-delà des nécessaires précautions administratives, définir avec netteté le rôle et la mission du parti politique au Sénégal des décennies 20 et 30 du 21ème siècle. Si l’argent du contribuable doit aller aux partis politiques, il faut raisonnablement que les missions qui leur sont dévolues soient très précises avec des procédures et mécanismes de vérification et de contrôle. Les partis doivent être utiles au pays et à la société et il est parfaitement possible qu’ils le soient davantage dans notre contexte de construction nationale au triple plan économique social et culturel. Mais un débat sur cette problématique est nécessaire et serait sûrement très productif dans la logique et la dynamique du dialogue national.
Mamadou Diop Decroix
Ancien ministre d’État
Ancien Député
Secrétaire Général d’Ànd-Jëf/Pa
• Ps : Sur les 54 pays d’Afrique 6 seulement ont un statut de chef de l’opposition dont la Rd Congo, le Togo, le Niger, la Guinée comme pays francophones.