A part ce changement de tête, le Sénégal de Pastef ressemble beaucoup à celui de l’APR et de Benno.
Une nouvelle majorité dicte sa loi à l’Assemblée, perpétuant les pratiques du passé : sans indépendance et complètement assujettie à l’exécutif. Sur le terrain, une nécessaire reddition des comptes a été mise en branle, mais certaines dérives persistent. Les mêmes agences et directions survivent alors que les finances publiques agonisent. Les nominations abracadabrantes s’enchaînent. Le pouvoir d’achat et le niveau de vie des Sénégalais ne s’est pas amélioré.
Voilà en résumé le Sénégal du régime des ruptures en trompe-l’œil.
Lorsque l’on se focalise sur le judiciaire, l’actualité nous renvoie à la fin de l’ère Macky Sall. Des arrestations à la pelle : Moustapha Diakhaté deux fois, Omar Sow deux fois, Abdou Nguer, Abou Diallo, Assane Diouf. Tous pour des délits d’opinion. Tous opposants au nouveau régime. Les mêmes condamnations fusent, de Seydi Gassama à Africtivistes en passant par Alioune Tine, dénonçant une vague répressive qui ébranle les libertés fondamentales.
Ce tableau décevant interroge la sincérité de la « rupture » tant vantée par le régime de Bassirou Diomaye Faye. Le Premier ministre Ousmane Sonko, avec sa rhétorique de « tolérance zéro » et sa promesse de « s’impliquer personnellement dans certains dossiers judiciaires », anéantit les discours sur l’indépendance de la justice.
Comme le soulignait Voltaire, « en démocratie, les dirigeants doivent s’habituer aux excès des paroles qui les visent ». Cette tolérance est le socle d’une société libre. Pourtant, au Sénégal on semble préférer la répression aux critiques, ciblant les écarts de langage avec une sévérité disproportionnée. Ce décalage rappelle que les promesses de renouveau démocratique ne suffisent pas sans actes concrets.
Le cas d’Abdou Nguer est emblématique de cette dérive. En détention depuis avril pour « diffusion de fausses nouvelles », il voit son dossier s’alourdir de charges supplémentaires, tandis que l’instruction s’éternise. Ces pratiques ne sont pas sans rappeler les heures sombres du précédent régime, où des activistes outranciers du pouvoir étaient systématiquement bâillonnés.
Il ne s’agit pas de prôner l’impunité. Les dérapages doivent être sanctionnés, mais dans leur juste mesure. Les mandats de dépôt et les peines d’emprisonnement, même avec sursis, pour des délits d’opinion sont disproportionnés. Pourquoi ne pas privilégier des amendes lourdes lorsque le délit est avéré ? Une telle approche permettrait de concilier fermeté et respect des libertés, évitant de transformer la justice en outil de répression.
Une démocratie doit d’abord reposer sur le pluralisme et la liberté d’expression. En s’engageant sur la voie du statu quo et de la répression, si tôt dans ce premier mandat, le régime de Bassirou Diomaye Faye ouvre des perspectives inquiétantes. La rupture ne peut se limiter à des slogans : elle exige un respect intransigeant des droits fondamentaux, y compris pour ceux qui critiquent le pouvoir.