Depuis l’alternance en 2000, des personnalités et célébrités sont régulièrement auditionnées à la Division des investigations criminelles (Dic) qui relève de la police ou à la section de recherche de la gendarmerie à Colobane. A la fin de chaque audition, c’est à la limite si on ne retrouve pas le Pv dans la rue.
Dès le lendemain, en effet, comme ça été le cas dernièrement après l’audition de Sonko, la presse raconte à l’opinion l’essentiel de ce qui s’est dit à la brigade, au commissariat ou dans le bureau du juge. Certains publient même des extraits ou alors reprennent des partis du Pv en faisant semblant d’écrire avec leurs mots. Des journaux révèlent même ‘’les minutes de l’audition’’ (sic). On voie des titres du genre : ‘’le film de l’audition’’. La seule limite à ne pas franchir jusqu’ici est la publication in extenso du Pv.
Or, ces procès verbaux ne sont dressés ni par les avocats, de quelque partie que ce soit, encore moins par les mises en cause. C’est donc le rôle de la police judiciaire, autrement dit, les policiers et les gendarmes préposés à la tâche. Ce sont donc les subalternes ou leurs patrons de la hiérarchie militaire ou policière qui divulguent un document censé rester secret.
Pape Alé, une double rupture
Certains qui en ont été victimes s’en sont plaints, sans résultat. Aujourd’hui, parce que l’information publiée n’est certainement pas du goût de la gendarmerie qu’on vienne servir des arguments de ce genre, après l’arrestation d’un journaliste.
Oui, sous un angle, Pape Alé Niang n’est pas un journaliste comme les autres. Il manifeste publiquement sa proximité avec Ousmane Sonko. « Ils ont enclenché l’opération d’élimination progressive pour faire le vide et espérer réussir leur funeste projet. En ce qui me concerne, je me suis préparé en conséquence pour la confrontation », écrivait le journaliste avant son arrestation. Rien que par ces mots, il avoue (même si c’était déjà évident) faire partie de ceux qui entourent Sonko. Ce qui est presque une première de la part d’un journaliste au Sénégal.
Dans ce pays, les médias affichent une distance et un certain équilibre entre les différentes chapelles politiques. C’est en cela que Dakar est différent de la Côté d’Ivoire où la presse est soit pro-Gbagbo, pro-Ouattara ou pro-Bédié. Une réalité que l’on retrouve aussi en France avec des médias de gauche et de droite. Une culture jusqu’ici inconnue au Sénégal.
Pape Alé introduit donc une double rupture à la fois en termes de support (Dakar Matin) et de personne. Certes, des médias pro-pouvoir au favorable à l’opposition, le Sénégal en a connu tout temps. Mais lui est un cas particulier, en ce sens qu’il n’est pas proche de l’opposition mais d’un homme bien identifié.
Prévenir les dérives comme la RP wolof
Pourtant, si on ose aller plus loin, on se rendra compte que Pape Alé a juste joué franc jeu, mais il n’est pas le premier. Au Sénégal, ils sont nombreux les journalistes qui sont proches d’un homme politique (ou même d’un opérateur économique). Certains sont des patrons de presse, d’autres des journalistes expérimentés, parfois même moins.
De part leur support ou leur plume, ils ont soutenu le leader politique avec qui ils ont des relations parfois anciennes et très solides. Et le coup de main peut être d’autant plus efficace que des deux côtés, on garde le silence sur cette relation, en public. On essaie de ne montrer aucun signe. Ce qui veut dire que cette équidistance ou indépendance affichée relève parfois plus de l’hypocrisie que du réel.
Malgré tout, avec ce premier cas, le débat mérite d’être posé par la profession pour fixer les limites à ne pas franchir dans cette relation entre presse et politique, afin de prévenir d’éventuelles dérives. La revue de presse en wolof doit aussi servir de leçon !