Crise au Moyen-Orient : Comment le Sénégal peut préempter les effets rebonds grâce à sa diplomatie énergétique (par Abdou Lahad Diakhate)

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Alors que les tensions dans le Golfe Persique notamment autour du détroit d’Ormuz font planer une menace réelle sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique mondial, la perspective d’une nouvelle flambée des prix de l’énergie se précise. À cela s’ajoutent des incertitudes grandissantes sur les marchés financiers. Dans ce contexte mouvant, le Sénégal, nouvellement pays producteur d’hydrocarbures, doit repenser son positionnement stratégique. Une diplomatie énergétique proactive pourrait lui permettre non seulement d’amortir le choc sur son marché intérieur, mais aussi de valoriser ses ressources dans un marché export en recomposition.

Les tensions récurrentes au Moyen-Orient, en particulier autour du détroit d’Ormuz, rappellent brutalement combien l’économie mondiale reste vulnérable aux chocs géopolitiques dans cette zone stratégique. Avec près de 30 % du pétrole mondial et plus de 17 % du gaz produits dans la région, et 20 à 25 % du brut mondial transitant chaque jour par ce couloir maritime de 50 kilomètres de large, le détroit d’Ormuz est devenu le véritable thermostat énergétique de la planète.

En cas d’escalade du conflit dans le triangle explosif Iran, Israël, Gaza, attisé par des jeux d’influence souvent opaques des puissances occidentales, les conséquences seraient immédiates et systémiques : flambée des prix de l’énergie, tensions aigües sur les marchés mondiaux, poussée inflationniste incontrôlée, ralentissement de l’activité industrielle, et risque de crise humanitaire dans les régions fortement dépendantes des importations énergétiques ou alimentaires. Une telle déstabilisation aurait des répercussions en chaîne sur les équilibres géopolitiques et les dynamiques économiques globales. Pour des pays importateurs nets comme le Sénégal, la tentation serait grande de subir passivement la crise. Et pourtant, c’est l’occasion d’adopter une diplomatie énergétique proactive, à la hauteur de notre nouvelle position dans le jeu énergétique mondial.

Opportunité à moyen terme : affirmer notre souveraineté énergétique
Le Sénégal entre dans le cercle des producteurs d’hydrocarbures avec le démarrage des projets Sangomar (pétrole) et GTA (gaz). Si les prix flambent à l’international, les revenus à l’export pourraient significativement dépasser les prévisions. À condition de maintenir une gestion rigoureuse, cela permettrait d’une part de réduire notre déficit budgétaire, d’autre part elle serait une opportunité d’accroître nos réserves de change, et de financer notre transition énergétique, au lieu de s’y engluer.

Mais tirer parti de cette conjoncture suppose une planification fine et anticipée. Il ne faut pas réagir dans l’urgence, mais bâtir une stratégie de souveraineté énergétique incluant :
* l’accélération du plan de transformation locale du gaz (engrais, électricité, GNL),
* la sécurisation des infrastructures critiques,
* et surtout réfléchir sur la mise en place d’un fonds souverain de stabilisation pour amortir les chocs à venir.

Une posture diplomatique équilibrée
Le Sénégal, fort de sa stabilité et de son image d’acteur diplomatique respecté, peut porter une voix équilibrée : ni alignée, ni passive. Il peut
appeler à la désescalade par la voie multilatérale (ONU, UA, OCI), et proposer une initiative africaine pour la sécurité énergétique. Par ailleurs, la crise entre l’AES et la CEDEAO fragilise le projet de gazoduc transsaharien, notamment en ce qui concerne la traversée du Niger. Dans ce contexte d’incertitude géopolitique sous-régionale , le gazoduc atlantique, porté par le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Maroc et d’autres partenaires, apparaît comme une alternative plus stable et crédible. Le Sénégal a tout à gagner à s’y engager pleinement, en consolidant sa position comme plateforme énergétique fiable, au cœur d’une Afrique de l’Ouest en recomposition.

Anticiper les effets internes d’un choc externe
L’autre enjeu, plus discret mais tout aussi crucial, est l’effet rebond sur notre économie domestique : hausse des coûts du transport en lien avec l’allongement des chaines logistiques, des engrais, de l’électricité… Le gouvernement devra surveiller étroitement ces variables et activer des mécanismes de compensation ciblée pour protéger les ménages les plus vulnérables. La meilleure réponse à la dépendance n’est pas de la nier, mais de l’organiser intelligemment, en créant les conditions d’une résilience nationale ou sous régionale face à un marché mondial instable.

Conclusion
Le Sénégal n’a pas vocation à subir la crise. Il peut et doit agir en stratège, en faisant de cette tension mondiale un levier pour accélérer sa transition, renforcer ses partenariats, et affirmer une nouvelle doctrine : celle d’une diplomatie énergétique souveraine, résiliente et responsable.

Dans ce contexte, , l’annonce ce week-end, des restrictions de voyage visant 36 pays, dont le Sénégal, intervient dans un contexte mondial marqué par une polarisation croissante autour du conflit au Moyen-Orient. Ce type de pression, sous couvert de sécurité, sonne comme un avertissement à l’endroit des nations tentées de s’émanciper de l’orthodoxie diplomatique dictée par Washington. Ce signal, aussi discret soit-il, nous rappelle que même les États amis peuvent durcir le ton face à toute velléité d’autonomie stratégique. Pour autant, le Sénégal n’a pas intérêt à entrer dans une logique d’opposition frontale avec les grandes puissances. Il lui revient plutôt de concilier lucidité diplomatique et affirmation de ses intérêts. C’est dans cet équilibre subtil entre engagement stratégique et prudence diplomatique que peut s’incarner une diplomatie énergétique souveraine, résiliente et responsable.

Abdou Lahad Diakhate
Consultant stratégie et Expert en Management des énergies pétrolières et gazières.

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