Les révélations et les chiffres donnent le tournis. L’affaire des Fonds Covid, censés sauver des vies en pleine pandémie, s’est muée en une tragicomédie où l’argent public s’évapore dans des dépenses aussi grotesques qu’indécentes. Bien sûr, il faut respecter la présomption d’innocence, mais ce que disent les différents rapports et les enquêtes en cours est très éloquent, et le tableau dressé est accablant.
Prenons l’exemple du ministère du Développement communautaire. La Cour des comptes a mis en lumière un décaissement de 399 millions de FCFA, effectué sans aucune caisse d’avance instituée, comme si l’argent pouvait se volatiliser sans formalités. Un numéro de magie financière qui laisse pantois.
Et que dire du ministère de l’Urbanisme ? Dans un élan d’inspiration printanière, il a dépensé 240 millions de FCFA pour… des bacs à fleurs. Parce que rien ne crie « urgence sanitaire » comme un parterre bien décoré. Cerise sur le gâteau, ce même ministère a organisé un cocktail à 40 millions de FCFA pour célébrer une convention. Pendant que les Sénégalais luttaient pour leur vie ou pour joindre les deux bouts, certains trinquaient à la santé de l’argent public.
Le scandale ne s’arrête pas aux ministères. Des artistes et sportifs auraient aussi trempé dans cette soupe nauséabonde. La Fédération sénégalaise de basketball, par exemple, a reversé 50 millions de FCFA en deux chèques à Mamadou Ngom Niang, directeur administratif du ministère des Sports, pour des « subventions » à d’autres associations. Problème : 190 millions de FCFA ont été payés en liquide, sans décision officielle, et 140 millions manquent à l’appel. On imagine des paniers de basket débordant de billets, envolés vers des destinations inconnues.
Ce feuilleton illustre une réalité brutale : au Sénégal, la corruption, la vénalité et le lucre sont des hôtes permanents. Le mal rampe et ronge, des bureaux ministériels aux fédérations sportives, des élites aux recoins les plus ordinaires de la société. La probité ? Une rareté, presque une excentricité. La corruption, elle, est la norme, une chorégraphie bien huilée où chacun cherche à saisir sa part avant que le rideau tombe.
Le Sénégal n’est que le reflet d’un mal africain plus large. Avant de crier au complot des « puissances prédatrices », regardons la vérité en face : nos malheurs sont d’abord internes. Le mal vient de nous, de nos élites qui pillent sans remords, de notre rapport malsain à l’argent public. Comme le disait l’écrivain nigérian Chinua Achebe, « le problème de l’Afrique, c’est simplement et clairement le problème de ses dirigeants. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique estime que la corruption coûte au continent 148 milliards de dollars par an, soit 25 % de son PIB. Au Sénégal, une étude de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption a révélé que 118,44 milliards de FCFA ont été versés en pots-de-vin entre mai 2015 et mai 2016, un montant équivalent aux revenus de l’exploitation minière et pétrolière. Ces fonds détournés privent les populations d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures, et entravent le développement. La corruption n’est pas un simple vice : c’est une trahison collective.
Alors, avant de blâmer l’étranger, balayons devant notre porte. Le mal de l’Afrique, c’est celui de ses enfants, de ces élites qui, tels des charognards, dévorent les espoirs de leurs peuples. On pourrait en rire, si ce n’était pas aussi tragique. Tant que la corruption restera la règle et la probité l’exception, le Sénégal et l’Afrique continueront de danser au son d’un orchestre qui joue désespérément faux.