Abdoul Aziz Diop, Forum civil : «C’est une crise manifeste d’autorité»

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«Il faut respecter l’Institution qu’est le chef de l’Etat. On ne parle pas d’une personne, mais d’une Institution en tant que telle. Mais qu’est-ce qu’on voit aujourd’hui ? Une crise d’autorité manifeste, une crise de confiance, de repère. Et au-delà de cela aussi, quand des militants vraiment s’insurgent contre des nominations, c’est déplorable, parce que ça, c’est le pouvoir régalien du chef de l’Etat de nommer aux emplois civils et militaires.» L’amer constat est de Cheikh Abdoul Aziz Diop de la Société civile, ancien Coordonnateur national-adjoint du Forum civil, ancien membre du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), qui juge opportun de tirer la sonnette d’alarme pour qu’«on ne vive vraiment pas une situation qui sera regrettable».Par Cheikh CAMARA –

Les attaques répétées dont fait l’objet le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, ont une explication. C’est du moins l’avis de l’ancien Coordonnateur national-adjoint du Forum civil. Pour Abdoul Aziz Diop, «il faut être préparé à la fonction d’homme d’Etat. Ce qu’on voit aujourd’hui, des gens sortis du néant, quelqu’un qui n’a jamais occupé un poste et son premier emploi, c’est Directeur général ou ministre ou haut fonctionnaire au sein de l’Administration sénégalaise».

M. Diop considère qu’«au niveau du Sénégal, nous avons de grands commis de l’Etat, mais avec ce qui se passe aujourd’hui, par rapport à l’appel à candidatures, la plus-value, c’est surtout qu’on aura de très bons profils, non seulement compétents, intègres, mais aussi qui ont le profil de l’emploi».

Toutefois, notre interlocuteur pense que «l’enquête de moralité aujourd’hui n’existe plus», parce que, croit-il savoir, «on peut nommer n’importe qui, même quelqu’un qui a des contentieux avec la Justice, et cela pose problème». Aujourd’hui au Sénégal, pense Abdou Aziz Diop, «il faut qu’on revienne aux fondamentaux parce que nous ne sommes pas loin de la lame de fond, qu’on respecte la sacralité de l’Etat, l’autorité de l’Etat, mais pourvu la personne qui incarne l’Etat aussi fasse preuve d’exemplarité, qu’elle prenne de la hauteur, parce qu’un homme d’Etat, il doit être à la hauteur, mais aussi il doit prendre de la hauteur, ne pas vraiment être un homme de détails, mais plutôt un homme d’Etat». Et Diop de regretter : «Ce qu’on voit de plus en plus, est que tout est dans les réseaux sociaux. N’importe qui a voix au chapitre, n’importe qui peut dénoncer n’importe quoi, c’est comme un actionnariat et cela pose problème.»
M. Diop pense qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. «Cette situation que nous vivons date des années 2000, parce que sous le régime du Président Abdou Diouf, celui du Président Léopold Sédar Senghor, surtout, il y avait un Etat-Nation mais, ensuite, il y avait les fondamentaux de l’Etat, la sacralité de l’Etat. On avait de grands hommes d’Etat, de grands commis de l’Etat qui avaient la tenue et la retenue.» Il donne, pour exemple, le cas de feu Bruno Diatta, ancien chef du Protocole, qui a collaboré avec quatre chefs d’Etat successivement. «Il avait la tenue et la retenue, et ce Bruno Diatta doit être un modèle, on doit l’offrir en modèle, surtout.»

Mais, déplore-t-il, «ce qu’on voit aujourd’hui, et c’est depuis les années 2000, est qu’il y a plus de politiciens au niveau des instances de gouvernance, au niveau de l’Etat, à la place des grands commis de l’Etat».

Il rappelle qu’«avec l’ancien régime, on nous parlait de la Patrie avant le parti, mais dans la réalité, on a vu que c’était le parti ou les partis ou les coalitions avant la Patrie. Donc la primauté du parti sur l’Etat». «Avec ce nouveau régime, ils nous ont parlé de don de soi, d’appel à candidatures, mais dans la pratique, on voit tout à fait le contraire, parce qu’on voit aujourd’hui que l’Etat maintenant est dans les réseaux sociaux. C’est un constat presque unanime. Alors que l’Etat, c’est le mythe, la sacralité, la confidentialité», fait remarquer Abdoul Aziz Diop. Ce dernier déplore le fait que «maintenant, tous les documents confidentiels, toutes les nominations, tout est dans la rue». Sur le débat autour de l’abrogation de la loi d’amnistie, le petit-fils de Mame Maodo et homonyme de El Hadji Abdoul Aziz Sy Dabakh Malick, dit ne pas comprendre qu’«au même moment, on nous parle d’indemnisation des victimes». Et de s’interroger : «Qui est victime et qui ne l’est pas, qui est coupable et qui ne l’est pas.» La Justice, pense-t-il, «doit faire son travail». Il ne manque pas de saluer le fait que par «le biais d’élection démocratique, le président de la République a quitté la prison pour battre campagne et être élu démocratiquement. Il a nommé son Premier ministre par décret, il a nommé d’autres directeurs généraux, d’autres Pca, mais, tout le monde maintenant qui se dit ancien détenu croit devoir avoir sa part du gâteau».

M. Diop pense qu’ «il faudrait qu’on revienne aux fondamentaux» et rappelle que «l’Etat n’appartient pas à un parti, lequel est une association privée, alors que l’Etat, c’est notre commun vouloir de vivre ensemble, et tous les Sénégalais sont d’égale dignité, ils ont le mérite à tous les emplois». Mais, se demande-t-il, «aujourd’hui, est-ce qu’on peut parler de «système ou d’antisystème», quand on voit qu’il y a d’anciens membres de l’ancien régime qui sont aujourd’hui au plus haut niveau autour du chef de l’Etat, autour du Premier ministre, dans les ministères ?». Et, rappelle-t-il, «ce sont des Sénégalais». M. Diop rappelle qu’«on parle d’un Etat réconcilié, d’un Peuple réconcilié», mais, se désole-t-il, «nous sommes un Peuple plus que divisé parce qu’on met au-dessus les intérêts partisans, les intérêts personnels, les ambitions personnelles au-dessus de l’intérêt général».

Il invite le président de la République à «plus de vigilance» pour que «la Constitution ne soit pas tripatouillée», parce que, rappelle-t-il, «il a prêté serment, c’est lui le gardien de la Constitution, qui doit veiller au bon fonctionnement du pays».
lequotidien.sn

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