RUFISQUE : dramaturge d’un déclin, entre « croissance sans développement » et contradictions fiscales (par Abdou lahad Diakhaté)

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Les obstacles au développement de Rufisque sont dus essentiellement aux choix politiques opérés depuis plus d’un siècle.

N’oublions pas, les administrateurs de l’époque avaient privilégié le site de Dakar, jugé plus favorable pour accueillir l’héritage de la fonction commerciale de Gorée. Le port de Dakar, achevé en 1910, allait gagner du terrain sur celui de Rufisque grâce à l’appui des autorités coloniales. Nous assistions au même moment au refus catégorique de l’administration coloniale d’engager les travaux d’aménagement du port de Rufisque, seul recours dans son ambition de conserver sa place de premier port arachidier du Sénégal. Pendant ce temps, aucun projet ne fut entrepris pour améliorer les problèmes d’assainissement. Un ensemble de blocages, dont la réforme visant à harmoniser la CEL/VA, qui jusqu’aujourd’hui continue à inhiber le développement de Rufisque ; la
conséquence est que Rufisque passe, petit à petit, d’une ville à part entière à une ville-banlieue dominée politiquement et administrativement au niveau de la région et peut-être elle devra disparaitre bientôt, un déclin qui, jusque-là, est synonyme d’une « croissance sans développement ».

De quoi se demander si la réforme fiscale ne serait pas un avenant du projet de suppression de la ville de Rufisque au même titre que Dakar, Pikine, Guédiawaye et Thiès.

Croissance démographique de 68% selon le dernier rapport publié par l’ANSD, des défis énormes qui appellent en l’état la mise en place d’un programme spécial.

En l’espace de dix ans, Rufisque a connu une augmentation démographique spectaculaire de +68%, une des plus fortes au Sénégal. Ce boom démographique fait du département :
* Le quatrième plus peuplé du pays, derrière Dakar, Mbacké et Mbour, avec des projections de croissance qui continuent de grimper.
* Un territoire qui se transforme rapidement sous la pression d’une urbanisation galopante et de l’installation massive de populations venues chercher des opportunités économiques et sociales.

Cette croissance, bien qu’indicatrice d’un potentiel humain immense, engendre un corpus de problématiques émergents : Sécurité, assainissement, voirie, infrastructures médicales et scolaires, activités à fort potentiel de main d’œuvre pouvant booster l’emploi des jeunes, avancée de la mer, soutien au secteur tertiaire. C’est dire que Rufisque est entrain de couler, les nouvelles autorités se doivent d’agir, et si possible à temps.

En cinq ans, la CEL/VA s’effondre de 1,75 milliards à 17 millions: Une mort certaine pour Rufisque.
Le coup de grâce semble avoir été porté par la réforme fiscale relative à la Contribution Économique Locale sur la Valeur Ajoutée (CEL/VA). Entre 2019 et 2024, les taxes collectées sur la valeur ajoutée, pour Rufisque sont passées de 1,75 milliard à seulement 17 millions de francs CFA, un effondrement qui entrave gravement la capacité de la ville à financer ses besoins essentiels. Cette réforme, censée harmoniser les allocations fiscales entre territoires, repose sur une logique d’équité, mais elle révèle un paradoxe : en neutralisant les avantages compétitifs des collectivités dynamiques comme Rufisque, elle va à l’encontre du principe de décentralisation compétitive. Les collectivités les plus dynamiques, qui attirent des activités industrielles et commerciales, risquent de perdre une partie de leurs ressources au profit d’autres zones moins économiquement dynamiques. À terme, cela peut freiner l’incitation à développer les spécificités locales.

Paradoxe entre politique fiscale et décentralisation compétitive:
Le nouveau référentiel des politiques publiques prône pourtant la mise en place de pôles territoriaux économiquement viables et autonomes. Dans ce contexte, une fiscalité uniforme comme celle proposée par la CEL/VA risque de freiner les territoires à fort potentiel, tout en échouant à redynamiser les zones moins développées. Rufisque, autrefois un moteur économique, se trouve aujourd’hui victime d’un nivellement par le bas, aggravant son déclin.

En réalité, l’idée d’harmoniser les allocations de la CEL/VA repose sur une volonté d’équité entre territoires. Cependant, cette approche entre en contradiction avec les principes fondamentaux de la décentralisation compétitive, qui visent à :
* Encourager les territoires dynamiques à maximiser leurs ressources propres.
* Favoriser une émulation entre les collectivités pour attirer des investissements et développer des activités économiques spécifiques.
Le nouveau référentiel des politiques publiques du Sénégal prévoit la création de pôles territoriaux autonomes, capables de soutenir leur propre développement grâce à des ressources endogènes. Or, une répartition uniforme des recettes fiscales, comme celle proposée avec la CEL/VA, risque de neutraliser les atouts compétitifs des territoires économiquement actifs, tels que Rufisque, Thiès ou Dakar, et de réduire leur capacité à jouer un rôle moteur dans l’économie nationale. Chaque collectivité territoriale égraine ses contraintes propres, donc peut naturellement profiter, en retour, des retombées économiques des entreprises qu’elle accueille:

– dégradation des routes de Rufisque
– Empreinte carbone et indice de pollution de la ville: «Poussiérou Sococim bi wa Matam ngaw yoon nekoussi »

L’exemple concret est l’Etat du Niger, qui au sortir de la réforme de 2013, avait prévu de rétrocèder un pourcentage des recettes pétrolières aux collectivités territoriales dans lesquelles sont implantés les champs pétroliers ; et cette rétrocession bénéficie directement à des projets locaux avec un impact direct pour les populations et communautés concernées par les opérations

Proposition pour une fiscalité territoriale équilibrée:
Pour concilier les ambitions du nouveau référentiel des politiques publiques avec la réforme de la fiscalité locale, il serait judicieux d’adopter une approche hybride, qui combine :

* Création d’un fonds de solidarité interrégional: Plutôt que d’harmoniser les allocations, il serait préférable de créer un fonds national de solidarité, financé par une contribution limitée des territoires à forte valeur ajoutée. Ce fonds servirait à soutenir les zones moins développées tout en maintenant l’incitation à exploiter les ressources locales.
* Autonomie fiscale territoriale : Permettre aux collectivités locales de fixer une partie des taux de la CEL/VA, tout en respectant des plafonds ou des seuils définis par l’État, afin de stimuler la compétitivité.
* Appui aux projets structurants : Les collectivités pourraient être incitées à investir dans des projets alignés sur leurs spécificités économiques .
* Incitations à la performance économique: Mettre en place des mécanismes de bonification pour les collectivités qui démontrent une gestion efficace de leurs ressources fiscales et un impact économique local mesurable.

La gouvernance locale, elle aussi, doit évoluer. Le maire de Rufisque, au lieu de rester dans une posture solitaire, pourrait mobiliser un groupe communautaire influent, composé des acteurs industriels , des autorités coutumières et des associations locales, afin de renforcer son plaidoyer pour un financement adapté et des projets d’impact.

La ville est conçue comme un système au sein duquel il ne serait plus possible de penser isolément l’acteur municipal. La maîtrise des policy networks, leur transformation en policy communities, permet le pilotage urbain bien au-delà de l’orchestration symbolique. La scène décisionnelle à Rufisque, s’en trouve modifiée dans le sens d’une plus grande complexité et d’une plus grande diversité. Il n’y a plus d’un côté l’acteur municipal et de l’autre la société locale, associations, entreprises. De nouveaux acteurs émergent, à l’autonomie partielle, à la temporalité singulière: nouveaux leviers d’action entre les mains d’une municipalité se démultipliant jusqu’à l’ubiquité, en faveur d’une fragmentation du pouvoir local.

En somme, Rufisque illustre tragiquement le concept de « croissance sans développement ». Cette ville, riche d’un passé glorieux et d’un dynamisme humain unique, ne peut se résigner à un statut de périphérie oubliée. Pour assurer son avenir, elle doit être repositionnée comme un pôle stratégique, capable de contribuer au développement national tout en exploitant ses ressources endogènes. Rufisque mérite mieux qu’un simple nivellement par le bas : elle a besoin d’un projet de relance audacieux, à la hauteur de son potentiel et de son histoire.

Le Rufisquois,
par Abdou lahad Diakhaté

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