[Présidentiables 19/19] Anta Babacar Ngom, une capitaine d’industrie pour enfin briser le plafond de verre !
De la ferme avicole au palais de la république. C’est le pas audacieux que souhaite franchir Anta Babacar Ngom et ce, en un temps record.
Partir à la conquête de l’électorat sénégalais s’avère être une entreprise des plus ardues. Avant l’avènement du système de parrainage, l’écart entre les candidats jouissant d’une notoriété politique établie et ceux considérés comme des « fantaisistes » était abyssal. Ces derniers se voyaient rapidement confrontés à la dure réalité des urnes, souvent récoltant un maigre 0% de voix. Bien que la présidence ne soit pas accessible à tous, la quête de la Magistrature suprême exige un certain nombre de prérequis. Il faut notamment une reconnaissance sur la scène politique, forgée au fil d’années d’engagement, une aura indéniable auprès de la population, et surtout, une assise politique dans une région du pays. Il est donc clair que Anta Babacar Ngom ne remplissait aucun de ces critères. Ce qui aurait pu être perçu comme un handicap s’est révélé être sa plus grande force. En l’espace de six mois seulement, elle a réussi à se hisser au-devant de la scène, devenant d’abord la première femme sur la ligne de départ pour une présidentielle après la validation des candidatures du Conseil constitutionnel. Et désormais, l’unique femme en lice pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024 après le retrait de Rose Wardini.
La bataille du positionnement
En mi-2023, les spéculations quant à son entrée en lice pour la présidentielle vont bon train. À la suite d’une série de clichés portant la mention ARC, Anta Babacar Ngom dévoile une vidéo exposant ses ambitions. « Certaines personnes me demandent “pourquoi je ne pourrais pas rester tranquille et vendre mes poulets ?” », a-t-elle déclaré dans la vidéo. Celle qui était jusqu’alors reconnue en tant que directrice générale de la SEDIMA justifie son engagement politique par sa volonté de catalyser le changement au profit des jeunes et pour les jeunes. Un vent nouveau qu’elle aspire à insuffler à travers son mouvement, l’Alternative pour la Relève Citoyenne (ARC). Elle a pour ambition de marquer la rupture !
C’est le 26 août, jour de son anniversaire, que se tient sa cérémonie d’investiture, durant laquelle la quadragénaire, âgée en ce temps de 39 ans, officialise sa candidature pour l’élection présidentielle du 25 février. La séduction de la population sénégalaise pouvait alors débuter. Anta Babacar Ngom ne ménagera pas ses efforts durant cette période, multipliant les déplacements à travers les quatre coins du pays. Les axes prioritaires de la candidate se dessinent : la valorisation du secteur primaire, la réforme du système de santé avec notamment la construction d’hôpitaux et d’autres établissements, la répartition équitable des richesses et l’accès à l’éducation pour tous.
Une enfance marquée par la précarité
La première apparition publique de cette figure s’accomplit dans le berceau de sa jeunesse, Pikine. Née en 1984 à l’hôpital Dominique, elle a grandi en banlieue entre Malika village et Guédiawaye. Son récit d’enfance révèle une période tumultueuse. Elle confie avoir séjourné dans « six » ou « sept » foyers différents jusqu’à ses six ans. Une époque empreinte de difficultés qu’elle évoque : « C’est lors de mon inscription à la Croix Rouge à Pikine que l’on m’a conduite chez une famille à peine connue de mes parents, prête à m’accueillir afin que je puisse fréquenter l’école maternelle. Une famille modeste, faisant face à d’énormes difficultés financières, mais d’une générosité sans pareille. Je me souviens des soirées où nous arpentions les rues de Pikine à la recherche d’un repas, quand nous nous retrouvions à acheter des sandwichs spaghetti ». Par la suite, elle fut confiée à son grand-père, El Hadj Abdoulaye Ngom, chargé de l’escorter jusqu’à son école et de la ramener. Une tâche qui s’avérait ardue pour le père de Babacar Ngom Sedima : « Souvent, il oubliait de venir me chercher en raison de son grand âge. Cela me conduisait à devoir passer la nuit chez mes enseignantes, y compris la directrice de l’école ».
« Il nous était formellement interdit de casser des œufs pour préparer à manger »
Ballottée de famille en famille, le retour au sein de son foyer restreint, composé de son père, sa mère et ses frères, s’opère à l’âge de 6 ans. Là encore, la précarité était monnaie courante : « Je me souviens encore du nombre de fois où ma mère nous a fait croire qu’elle avait déjà mangé, qu’elle était rassasiée, juste pour nous permettre de consommer une meilleure quantité de nourriture ». Bien loin de la prospérité éclatante qu’expérimente actuellement la Sedima, la modeste famille vivait humblement au sein de la ferme, dans l’impossibilité de goûter à l’aliment qui allait faire la renommée des Ngom au Sénégal et à l’international : « Ces deux activités étaient notre gagne-pain, mais il nous était strictement interdit de casser des œufs pour les cuisiner. Il fallait qu’ils soient brisés accidentellement lors de leur manipulation pour que nous puissions en bénéficier, mais tant qu’ils restaient intacts, nous n’y avions pas droit ». Elle ajoute : « L’eau, l’électricité et autres commodités ne me manquaient pas, car je les ignorais. Je n’en ai pas souffert parce que je ne connaissais pas d’autre lumière que celle du soleil. Lorsque le soleil se couchait, c’était la nuit et il fallait simplement aller se coucher ».
Une élève brillante
Du primaire à la 3e secondaire, Anta Babacar Ngom fréquente l’Immaculée Conception. Se décrivant comme une élève brillante, elle trouvait dans ses succès un répit bienvenu face à la dure réalité de sa vie quotidienne : « Je me souviens d’une camarade qui apportait chaque jour un goûter différent. Cela m’impressionnait, car je ne pouvais pas comprendre comment il était possible d’avoir une telle variété de goûters quotidiennement. Elle était généreuse et partageait avec moi son pain au fromage, ce qui me comblait de joie (…). Je ne sortais jamais du peloton de tête de ma classe, c’était ma manière de préserver ma dignité. J’étais brillante, intelligente, et je suis restée proche de mes enseignantes jusqu’à ce jour d’ailleurs ».
Avec le temps, la situation financière de sa famille s’améliore, fruit des efforts de son père dans la vente de volaille. Les bénéfices de cette réussite, la jeune Anta les partage généreusement en organisant des distributions de tablettes d’œufs à ses camarades et enseignantes. Cet altruisme lui vaut le surnom de « Anta Sedima ». Ces épreuves précoces de la vie l’ont façonnée, et permis très tôt d’avoir un esprit mature. La poursuite de son parcours scolaire la conduit au Lycée International Bilingue, où elle obtient avec brio le Baccalauréat International ainsi que le diplôme américain.
D’agent de sécurité de boîte de nuit à commerciale à HP
En prêtant main-forte à son aîné dans la préparation du baccalauréat sénégalais, Anta se voit invitée à se présenter comme candidate libre. C’est ainsi qu’elle se retrouve au lycée Lamine Gueye pour affronter les épreuves, et c’est avec une éclatante victoire qu’elle s’en sort en tant que première de son centre. L’année scolaire 2004 et 2005, elle conquiert donc trois baccalauréats distincts. Son parcours académique la mènera ensuite à tracer son chemin entre la France et le Canada, particulièrement à Toronto.
Refusant de s’en remettre exclusivement à l’assistance financière de ses parents, l’étudiante décide de s’engager dans le labeur clandestin pour joindre les deux bouts. « J’ai travaillé comme serveuse dans le restaurant de l’école, j’ai fait la plonge, le nettoyage. J’ai été agent de sécurité en charge des vestiaires des femmes dans la boîte de nuit de l’université. Mes camarades m’y voyaient et je n’avais pas honte, j’étais fière de travailler. J’ai ensuite travaillé dans un stand pop up d’un centre commercial, comme vendeuse de chapeaux africains. Traductrice à l’université, un travail qui m’a permis de gagner de l’argent et d’acheter ma première voiture, une Jaguar », se remémore-t-elle.
Forte de ses précieux diplômes, elle effectue un bref retour au Sénégal en 2009, au cours duquel elle plonge résolument dans le monde professionnel en intégrant l’entreprise familiale, la Sedima. Assoiffée de connaissances, elle décide par la suite de revenir en France afin de poursuivre son parcours universitaire jusqu’au niveau master. Pendant cette période, elle occupe également le poste de commerciale, gestionnaire de portefeuille clients chez HP. « J’étais la petite interne, stagiaire, qui est arrivée par ses propres moyens, son propre bagage intellectuel et qui a tellement bien travaillé qu’ils ont voulu la garder », souligne-t-elle avec une pointe de fierté.
Son rôle dans l’élection de Macky Sall en 2012
Ayant arpenté les arcanes académiques avec brio, décrochant successivement un Master 1 en Économie, un Master 2 en Management de Projets et Nouvelles Technologies à l’université Paris Dauphine, puis un MBA en Communication à Sciences Po Paris, Anta Babacar Ngom a fait montre d’un bagage intellectuel imposant. Forte de ces acquisitions, elle décide en 2012 de revenir au Sénégal, imprégnée d’une détermination sans faille.
Cependant, son retour au pays n’était pas uniquement motivé par un simple désir de retrouvailles avec ses racines. Au contraire, Anta Babacar Ngom avait un dessein bien précis : s’engager activement contre le troisième mandat de Me Abdoulaye Wade, alors en jeu politique. Dans ses propres termes, elle confie : « J’ai donc pris part à l’accompagnement du candidat Macky Sall lors de l’élection présidentielle. Son ascension à la présidence a été pour moi source d’une immense fierté, d’un honneur indescriptible. Je n’ai jamais adhéré à l’APR, n’ayant aucune intention de rejoindre un parti politique. Mon unique dessein était de soutenir un citoyen sénégalais, en accord avec les valeurs qu’il prônait à cette époque ».
Cette parenthèse politique fermée, elle effectue son retour au sein de l’entreprise familiale. Anta Babacar Ngom a su gravir les échelons avec une aisance remarquable. Elle a successivement occupé les fonctions d’attachée de direction, de responsable stratégie et développement, puis de directrice du pôle stratégie et développement, pour finalement accéder en 2016 à la position de directrice générale déléguée, avant de culminer à la tête de l’entreprise en tant que directrice générale de Sedima.
La gestion de cette entreprise lui a valu plusieurs reconnaissances internationales élogieuses. En effet, Anta Babacar Ngom a été distinguée par Forbes Afrique en tant que l’une des figures émergentes du continent, ayant moins de trente ans, en 2015. L’Institut Choiseul l’a également citée dans sa liste des 100 futurs leaders économiques. Son mérite fut également célébré par le MEDEF, qui lui décerna un Business Award lors du Sommet France-Afrique à Bamako en 2016. Enfin, en 2017, elle est consacrée Jeune CEO de l’année lors de l’Africa CEO Forum.