[Reportage] À Rebeuss les “détenus politiques” réclament réparation pour privation de liberté indue

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La Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss est, depuis jeudi dernier, le point de ralliement de centaines de proches de détenus politiques. Dans son élan de décrispation de la situation socio-politique très tendue, le Président Macky Sall a décidé de les libérer. Pour sa part, le collectif des détenus politiques envisage des poursuites judiciaires contre l’État.
 
Sur le parvis de la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, joie, espoir et frustrations s’entremêlent. Ce lieu de détention sis au populeux bidonville (Rebeuss) situé à la façade ouest de la capitale Sénégalaise, cristallise toutes les attentions. Depuis jeudi dernier, plus de 300 détenus dits politiques, arrêtés suite aux violentes manifestations qui ont secoué le pays (en mars 2021 et en juin 2023) avec en toile de fond l’odyssée politico-judiciaire d’Ousmane Sonko, ont bénéficié de l’élan de décrispation de la tension socio-politique noté ces derniers jours. Ils recouvrent ainsi la liberté après plus de neuf mois -pour certains- et près de deux ans -pour d’autres- de détention jugée ‘’arbitraire’’.
 
Sous le soleil de plomb de ce lundi 19 février 2024, la citadelle du silence grouille de monde. C’est cette image inhabituelle qu’offre la Mac de Rebeuss depuis la semaine dernière. Venus de tous les coins du pays, parents, amis ou simples connaissances des détenus politiques ont pris d’assaut la ruelle, bordée de part et d’autre de baraquements, qui mène à l’entrée principale de la vieille prison. Sur les lieux, Fatima Mbengue, une des leaders du collectif des détenus politiques et membre actif de l’ex-Pastef (le parti dissous de Ousmane Sonko), s’active aux côtés des proches des détenus. Registre et stylo à la main, téléphone portable scotché à l’oreille, elle recense toutes les libérations.    
 
Entre elle et les 307 détenus récemment libérés entre jeudi et samedi, il y a un point commun. Tout comme ces derniers, Fatima, cette infatigable combattante a, elle aussi, connu les rigueurs de la détention dans les geôles surpeuplées du pays, dans des conditions quasi identiques aux leurs. Cela ne l’a point refroidi. Bien au contraire. Normal ! Quand on siège à la Plateforme Frapp « France dégage », aux côtés de Guy Marius Sagna, le député de l’opposition aux multiples mandats de dépôt, on a de qui tenir. Assise à côté d’un étal, Fatima est entourée par la foule. Elle donne les directives et organise les prises de parole des détenus dont les récits glaçants font courir la presse (nationale comme internationale) et tiennent en haleine tous les Sénégalais.  
 
Récits renversants des détenus
 
Loin de la cohue, de l’autre bord de la ruelle, un détenu savoure sa liberté. Vêtu d’un costume africain gris anthracite qui moule sa silhouette longiligne et des souliers noirs brillant sous l’effet des rayons du Soleil, Mamadou Dème est un ancien chauffeur de la compagnie nationale de transport urbain et interurbain, Dakar Dem Dikk (DDD). Au-delà de son nom de famille, les scarifications sur ses tempes donnent une indication précise sur son appartenance ethnique. Approché par Seneweb, il se confie sans fard. Son rire communicatif et son sourire décapant cachent mal une frustration profonde qui refait surface dès qu’on le replonge dans les péripéties de son arrestation musclée, le 29 mai 2023, suivi de plusieurs retours de parquet, puis d’une descente aux enfers sous la brimade et les tortures. Quand il ressasse cet épisode, sa gorge se resserre. La colère étreint sa voix. Les mots sortent difficilement de ses lèvres.
 
« Les policiers m’ont arrêté le 29 mai 2023 alors que je ne manifestais même pas. J’étais en train de préparer mon procès contre l’ex-Directeur de Dakar Dem Dikk, Oumar Boune Khatab Sylla qui devait se tenir le 6 juin 2023. Il m’a licencié abusivement et j’avais tous les atouts de mon côté pour gagner ce procès », confie-t-il. Mamadou Dème ne se présentera jamais à ce procès, malgré toutes les explications et les preuves qu’il a présenté aux Forces de l’ordre qui l’ont arrêté. « Je leur ai présenté mon permis et ma carte professionnelle de chauffeur à DDD, ils n’ont rien voulu comprendre. C’est totalement injuste ce qui se passe dans ce pays. Ils m’ont fait perdre mon procès contre DDD et mon contrat de travail à Sabadola, je devais être là-bas le lendemain de mon arrestation », dénonce-t-il, la mort dans l’âme.
 
« J’ai passé 11 mois à chambre 9 avec plus de 200 personnes »
 
En prison, il a vécu le pire. « On était entassé comme des sardines à la chambre 3. C’était atroce. Les conditions de détention sont inhumaines et on incarcère des gens qui n’ont rien fait. Je ne leur pardonnerai jamais ce qu’ils m’ont fait », lâche-t-il. Une frustration qu’il partage avec Mbaye Diaw (libéré vendredi), tailleur au marché HLM qui a payé cash sa notoriété et son engagement au sein de Pastef. « Quand les policiers sont venus m’arrêter, il n’y avait même pas de manifestations. Ils m’ont trouvé dans mon atelier de couture et m’ont arrêté parce que tout simplement on leur a dit que je suis un militant de Pastef. Des gens mal intentionnés sont allés dire à la Police que c’est moi qui organise les jeunes de HLM pour qu’ils manifestent dans les rues. Alors que moi je n’habite même pas dans le quartier. J’ai juste mon atelier là-bas mais j’habite à Pikine avec ma femme et mes enfants », se défend Diaw.
 
Il ajoute à ce sombre récit, les conditions carcérales qui étaient déjà suffocantes avant que plus d’un millier de détenus politiques ne viennent rendre la situation encore plus explosive. « Je ne savais pas que s’engager politiquement était un délit au Sénégal. J’ai passé 11 mois à la chambre 9, l’une des plus redoutables. Je partageais cette chambre avec 200 autres détenus. On restait des jours sans eau. Les deux premiers mois, j’ai failli mourir. Je ne supportais pas du tout les conditions carcérales comme le ‘’pakétass’’ (paquetage), les uns entassés sur les autres comme du bétails », narre Mbaye Diaw. S’il y a une victoire à fêter pour lui, c’est d’avoir réussi, du fond de sa cellule, à convaincre sa mère. « Macky Sall a fait de ma mère une Patriote depuis qu’il a emprisonné injustement son fils. Rien que cela me réjouit », jubile-t-il.
 
Des poursuites judiciaires contre l’État envisagés
 
Si ces épisodes douloureux n’ont pas été un supplice pour les 1500 détenus politiques, c’est bien grâce à l’accompagnement de l’ex-Pastef qui s’est immédiatement organisé, malgré sa dissolution actée depuis le 31 juillet dernier, pour leur apporter un soutien significatif. Vêtements, chaussures, repas et transports sont offerts sur place aux détenus libérés. Un suivi médical et psychologique de même qu’un accompagnement en vue de la réinsertion sociale sont organisés. « Pastef s’est engagé à les prendre en charge. Tous ceux qui sortent sont recensés par Fatima Mbengue dans ce sens », révèle Papis Djim dont le frère, Hannibal Djim a récemment été élargi de prison.
 
Toutefois, le Collectif des détenus politiques salue certes ces mesures de libération, mais n’entend pas laisser prospérer l’arbitraire. « Il y a un sentiment de frustration, confie à ce propos Papis Djim, parce que ces gens qui ont été victimes d’arrestations arbitraires, n’ont jamais demandé à être libérés simplement. Ils demandent à être jugés ». Ceci, pour éviter que la « libération provisoire » ne reste suspendue au-dessus de la tête des détenus comme une épée de Damoclès.
 
« Tous les détenus qui ont été jugés, ont tous été relaxés purement et simplement. On a eu 86 détenus jugés, il n’y en a que deux qui ont eu trois mois de sursis. L’État criait urbi et orbi qu’il n’y a pas de détenus politiques au Sénégal. Et maintenant vous voyez sur quelle base ces gens ont été libérés. D’abord la procédure n’a jamais été respectée et l’État n’a manifesté aucun intérêt pour que ces gens soient jugés parce qu’il avait peur que le monde entier découvre cette ingérence manifeste de l’exécutif dans le judiciaire. Ces gens qui ont été arrêtés sans aucun motif valable et envoyés en prison sans jugement pendant plus de 9 mois, un an ou deux ans pour certains, doivent être indemnisés », réclame M. Djim.
 
De leurs côtés, Diop Taïf et Pape Fara Ndiaye respectivement, Président et vice-président du collectif des détenus politiques, annoncent des poursuites judiciaires contre l’État du Sénégal. « Ces arrestations ont des conséquences sociales graves. Certains ont perdu leur travail, d’autres détenus ont vu leur couple volé en éclat », fait constater Pape Fara Ndiaye qui confie : « Nous avons mis en place un plan d’action afin d’entrevoir une poursuite pénale contre l’État du Sénégal ».
 
Loin d’acquiescer à cette idée, Bouna Ndiaye (enseignant) qui a parcouru 121 Km de Ngaye Mékhé à Dakar, préfère croiser les doigts dans l’espoir de voir le nom de son jeune frère, Alioune Ndiaye figurer sur la prochaine liste.
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