[Guest éditorialiste] Les contrevérités absurdes du Manifeste des «169 intellectuels» (Par Ismaïla Madior Fall)
Ces derniers temps, la production de manifestes par des «intelectuels» est devenue un phénomène de mode pour soi-disant soutenir et défendre des causes militantistes. Certains de leurs auteurs reconnaissent même le caractère purement idéologique et non épistémologique de leur démarche. Ils confessent ainsi leur posture politicienne.
La publication du Manifeste du 06 septembre 2023 dans le journal Sud-Quotidien, signé par 169 universitaires de divers rangs académiques accusant le Président Sall de nourrir une «aventure militaire néocoloniale» dans le cadre communautaire de la CEDEAO, dénote une mauvaise foi manifeste de leurs auteurs, mais aussi une ignorance abys’sale des principes qui gouvernent le fonctionnement des relations internationales, en général, les Communautés économiques régionales en particulier.
En effet, le contenu du Manifeste est truffé de contrevérités, mais surtout de confusions dangereuses et pernicieuses que ne ferait même pas un étudiant en première année de sciences juridiques et politiques !
En vertu du principe de solidarité, tout signataire du Manifeste, même non spécialiste des questions évoquées, en assume la responsabilité du fait de la faute scientifique du rédacteur principal.
La critique absurde du respect par le Sénégal de ses obligations communautaires
Parler ici de «l’aventure militaire néocoloniale» relève de la mauvaise foi ou de l’ignorance dans un contexte de construction de l’intégration symbolisée par les principes d’interdépendance, de solidarité, de coopération, de confiance mutuelle entre les États membres. Ces derniers ont accepté de consentir un transfert de souveraineté et exercent en commun des compétences, notamment dans le domaine de la sécurité régionale prévue par l’article 58 du Traité de base.
Le principe de coopération loyale oblige les États membres à ne pas se délier de leurs engagements et à faire preuve de bonne foi vis-à-vis de la Communauté. Les États s’engagent à œuvrer à la préservation des conflits et au renforcement des relations propices au maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région.
En outre, le Protocole de Lomé de 1999 relatif au Mécanisme de prévention, de la gestion, de règlements des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, en son article 25, prévoit l’activation du dispositif «en cas de renversement ou tentative de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu». Dans la même veine, le Protocole additionnel de 2001 sur la bonne gouvernance proscrit tout changement anti-constitutionnel de gouvernement, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir.
La participation du Sénégal à une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO au Niger ne fait qu’illustrer le respect de ses obligations communautaires. Vouloir reprocher au président de la République, garant de l’exécution de nos engagements internationaux et dépositaire de la légitimité nationale, d’agir conformément à ces deux prérogatives revient à faire l’apologie du non-droit et d’une prise de pouvoir par les armes; ce qui constitue une atteinte grave à l’idéal démocratique et ne saurait se justifier par des prises de positions idéologiques, même confessées.
En contribuant éventuellement à l’application de la décision de la CEDEAO (car il s’agit d’abord de privilégier toutes les voies de règlement pacifique) de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, le Sénégal n’entre pas en guerre contre le Niger, mais assume simplement ses obligations vis-à-vis de la CEDEAO ce que les 169 intellectuels semblent ignorer.
Pour rappel, il n’est pas, en l’occurrence, requis de consulter l’Assemblée nationale conformément à l’article 70 de la Constitution qui le prévoit, en cas de déclaration de guerre, a fortiori le peuple. Il s’agirait, le cas échéant, d’une intervention réalisée au niveau communautaire avec des forces CEDEAO (ECOMOG).
La base légale d’une éventuelle intervention militaire en cas d’insuccès de la voie diplomatique qui est privilégiée
En s’attaquant curieusement et malencontreusement au Président Macky Sall sur une intervention militaire éventuelle de la CEDEAO, les signataires du Manifeste ont -peut-être de bonne foi pour les non-sachants embarqués et certainement de mauvaise foi pour ceux qui en connaissent un tout petit peu sur les disciplines en jeu- torpillé le droit de l’intégration et humilié le droit international. Aucun juriste sérieux ne peut ignorer que le Conseil de Sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix, mais les dispositions de l’article 52 de la Charte des Nations Unies mentionnent clairement qu’ «aucune disposition de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies».
Donc, les signataires doivent comprendre que l’intervention militaire de la CEDEAO envisagée, en cas d’insuccès de la voie diplomatique qui est privilégiée et pour laquelle le Président Sall œuvre inlassablement, a bel et bien une base légale communautaire et ne reste pas subordonnée à l’aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Logique pour logique, où étaient ces intellectuels de mauvais aloi quand, sur la base de ses mêmes textes et principes fondamentaux, la CEDEAO intervenait militairement dans d’autres pays membres de l’Organisation, pour rétablir et maintenir la paix et la stabilité ou assurer le respect du libre choix des citoyens (Liberia, Sierra Leone, Guinée-Bissau, Gambie) ?
Le comportement exemplaire du Sénégal vis-à-vis des instances et décisions de la CEDEAO
Par ailleurs, alléguer hâtivement et péremptoirement que le «Président Macky Sall s’est politiquement organisé pour torpiller le droit communautaire» ne reflète pas la réalité des choses, porte atteinte à la majesté de l’institution présidentielle et exprime une méconnaissance manifeste des normes et pratiques jurisprudentielles du droit communautaire. A cet egard, l’exécution des arrêts de la Cour de Justice de la CEDEAO, convoquée par les auteurs du Manifeste qui n’en sont pas visiblement des spécialistes, relève des procédures du droit national.
L’article 24-4 du Protocole de la Cour dispose que «les États membres désigneront l’autorité nationale compétente pour recevoir et exécuter la décision de la Cour et notifieront cette décision à la Cour». Sur cette question, c’est le Président Macky Sall, lui-même, qui a donné son accord le 2 mai 2023 pour que le ministère de la Justice soit désigné en tant qu’autorité chargée de recevoir et d’exécuter la décision de la Cour et notifieront cette décision à la Cour de Justice de la CEDEAO. Cette décision a été notifiée au président de la Cour de Justice par le ministre de la Justice. Le Sénégal rejoint ainsi les sept pays qui ont effectué cette formalité dans l’espace communautaire. Les erreurs d’appréciation de la jurisprudence de la Cour communautaire commises par les auteurs du Manifeste doivent être corrigées.
Dans la décision relative à la loi sur le parrainage, la Cour de Justice de la CEDEAO n’a jamais dit que la loi était problématique, elle a demandé de supprimer le système de parrainage électoral; ce qui, dans l’orthodoxie des principes, est discutable car la Cour s’est plus penchée sur le dispositif logistique et opérationnel du parrainage que sur les normes fondamentales y relatives. L’État du Sénégal a pris acte de cette décision et les conditions du parrainage ont été assouplies, dans le cadre d’un dialogue inclusif, par le vote de la loi n°2023-13 du 02 août 2023 portant révision de la Constitution.
De même, dans l’affaire Khalifa Sall, la Cour d’appel, dans son arrêt du 30 août 2018, a dûment tenu compte de la décision de la CEDEAO en annulant les procès-verbaux d’enquête et d’audition pour non-respect du droit à la présence d’un avocat. La jurisprudence de la Cour d’Abuja influence ainsi celle des juridictions sénégalaises. Quel bon exemple de respect du droit communautaire que la bande des 169 a passé sous silence soit par ignorance soit par mauvaise foi !
Ainsi, contrairement aux affirmations infondées des signataires du Ma-nifeste, le Président Macky Sall s’est toujours résolument engagé, par ses prises de décisions et de positions, pour la promotion et la diffusion du droit communautaire.
La réputation inébranlable de respect des instruments juridiques de protection des droits humains
Sur un autre registre, en reprochant au Président Macky Sall de ne pas avoir ratifié le Protocole facultatif sur la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaissant la possibilité aux individus et aux ONG d’introduire directement des requêtes, les 169 signataires révèlent une méconnaissance totale de la logique de contestation et de résistance des États à l’égard des juridictions internationales. Il ne s’agit nullement d’une ratification, mais d’une déclaration d’acceptation de compétence. Le mélange de genres conceptuels ou la confusion terminologique, qu’on peut pardonner aux signataires non spécialistes embarqués et induits en erreur par l’activiste rédacteur principal, témoigne d’une absence de maitrise des concepts utilisés.
Au surplus, si la tendance est au retrait de la déclaration d’acceptation de compétence de la Cour africaine des droits de l’homme prévue à l’article 34 (6) du Protocole en Afrique (Rwanda, Tanzanie, Bénin, Côte d’Ivoire) sur les 34 États parties au Protocole, seuls huit États ont déjà déposé la déclaration d’acceptation.
Au demeurant, sous le magistère du Président Macky Sall, notre pays n’a jusque-là dénoncé aucun instrument juridique international protégeant les droits de l’homme. Au contraire, le Sénégal brille par la ratification systématique des conventions internationales pertinentes en matière de protection des droits de l’homme (premier pays à avoir ratifié le statut Rome sur la Cour pénale internationale).
Le Président Macky Sall, un réformateur de la gouvernance démocratique
Qui peut, en toute honnêteté, ne pas reconnaître le statut de réformateur du Président Macky Sall qui, depuis son accession à la magistrature suprême, a entrepris des réformes ambitieuses pour consolider la démocratie, la bonne gouvernance et l’État de droit. À titre d’illustration, on peut citer : le renforcement des prérogatives de la Cour des comptes devenue ainsi vigie de la transparence financière, la création de l’OFNAC en 2012, la possibilité de soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour d’appel et la consécration du droit de propriété du peuple sur ses ressources naturelles en 2016, l’institution d’un référé-liberté pour protéger les libertés fondamentales en 2017, l’adhésion aux mécanismes de transparence (ITIE, PGO), la création d’un Pool judiciaire financier spécialisé dans la répression des crimes et délits économiques ou financiers en 2023, etc.
L’image d’une démocratie exemplaire en Afrique et dans le monde que les cris d’orfraie ne peuvent ternir
En réalité, les auteurs du Manifeste sont dans une aventureuse attaque crypto-personnelle et populiste pour régler d’incompréhensibles comptes avec l’organisation communautaire par le biais du Président Macky Sall. Les confusions dangereuses dans les propos tenus avec des contre-vérités scientifiques témoignent du malaise dont souffrent la plupart de ces universitaires qui font du vacarme, en sonnant l’hallali, en criant au chaos démocratique, à la crise de l’État de droit sans être dans le désintéressement qui devait caractériser toute aventure intellectuelle.
Le Sénégal est une démocratie et son histoire en est une parfaite illustration. Par ses
réformes audacieuses de la gouvernance démocratique du Sénégal, le succès des processus électoraux du pays avec zéro contestation dont les plus récents de l’année 2022 et sa présence comme facilitateur de la paix dans les pays en proie à des crises politiques, le Président Macky Sall a contribué au renforcement de l’État de droit et à l’œuvre de construction régionale.
L’une des plaies de la démocratie est le populisme de certains pseudo-intellectuels qui, comme l’écrivait un auteur, «prétendent d’abord parler au nom du peuple, ensuite, dénoncer les élus et les élites et enfin cultiver des passions tristes, le ressentiment, l’envie, la haine de l’étranger». Leurs écrits proclament une dégradation de la démocratie sénégalaise sans objectivation intellectuelle du propos, sans aucune analyse sérieuse, sans démonstration rigoureuse.
On peut bien prendre le parti de s’exprimer sur le registre de la pétition de principes, d’affirmations diffamatoires et péremptoires, et de proclamations d’intentions, mais il faut alors concéder qu’on n’agit pas en intellectuel, mais en propagandiste. Et les choses sont claires.
In fine, le terme «coups d’État institutionnel» employé par les auteurs du Manifeste renseigne sur la gravité de la situation de leur malaise spirituel et de leur vacuité conceptuelle.
«Coups d’Etat institutionnel» : une caractérisation terminologique puérile digne d’AG d’étudiants qui n’apporte aucune plus-value théorique, aucune valeur ajoutée conceptuelle.
L’apologie des coups d’État n’est validée par aucun courant de pensée de la science politique, même ceux développementalistes. Les coups d’État n’ont pas assuré la liberté, la paix et la prospérité des peuples. La voie irrésistible est la démocratie qui donne aux gouvernés la faculté de désigner librement leurs gouvernants et de les remplacer chaque fois que de besoin lors des échéances électorales.
Les 169 aventuriers de la plume feraient mieux d’aller colloquer scientifiquement sur les défis de notre pays et de l’Afrique dans un monde en mutation au lieu de verser dans un dénigrement enragé, à travers un galimatias politico-juridique indigne de tout intellectuel qui se respecte, et respecte son pays et ses institutions. Il faut choisir de faire la politique avec les armes de la politique ou la science avec les outils de la science. Le mélange de genres est un jeu à somme nulle, voire négative. Comme le dit si bien l’adage, les chiens aboient, la caravane passe ! L’histoire retiendra que le Président Macky Sall a indiqué la bonne voie à suivre. Qu’on le reconnaisse au moins, si on ne veut pas lui rendre hommage.
Ismaila Madior FALL
Agrégé de Droit public et de Science politique.
Professeur titulaire desUniversités
de classe exceptionnelle.
Président du concours
d’agrégation de droit public du
CAMES (2021).
Garde des Sceaux-Ministre de la Justice de la République
du Sénégal.